Le Devoir

À la recherche du début d’un temps nouveau

Alexandre Mc Cabe revisite l’année 2012 au Québec pour mieux saisir ce qu’il n’a pas fait germer

- FABIEN DEGLISE

Et si le comble de la subversion, pour un écrivain, c’était la sobriété, plutôt que de «multiplier les pitreries pleines d’esprit chez les Scudery hilares des médias» et de s’«acoquiner avec les joggeurnal­istes de La Presse et de Radio-Can» ? Et si écrire, en s’ouvrant aux autres, en délaissant le passé, de manière décomplexé­e, sans peur de se raconter, était une façon d’aller au «bout de sa langue et de sa culture », et donc d’aller au bout de soi ?

Quand Charles, un des personnage­s d’Alexandre Mc Cabe, prend la parole dans les dernières pages d’Une vie neuve, c’est finalement de bien plus que de la littératur­e québécoise qu’il est en train de parler. C’est le récit dans lequel il se trouve, qu’il définit aussi un peu, un récit sobre qui, en quatre temps, tente de saisir le Québec dans ses perspectiv­es d’avenir et dans ses contradict­ions. Avec une inconstanc­e traversée par moments de plusieurs fragments d’une fulgurante lucidité.

Quatre membres d’une même famille, Marie, Jean, Benoît et Philippe, frères et soeur, se retrouvent au coeur de quatre chapitres à la liaison incertaine. On est en 2012. Le Québec vit alors son printemps de la contestati­on au son de casseroles qui rythment l’ascension d’un certain Baptiste Chartrand-Bourgeois, surnommé «BCB». Le p’tit gars est qualifié «du plus controvers­é des leaders du mouvement étudiant». Philippe, avocat de son état, va être incité par sa belle-fille, Salomé, à le poursuivre pour avoir défié une injonction. Mais au fond de lui, c’est plus pour la vacuité de ce genre «de jeunes loups, plus occupés à briller qu’à penser », qu’il voudrait le voir condamné.

Pendant ce temps, Benoît a quitté Montréal pour aller digérer sa peine d’amour sur le chemin de Compostell­e. Le gars avoue ne pas avoir d’aptitude pour le bonheur. « La joie m’angoisse», dit-il. Clara, une fille de Grenoble, va l’aider à se retrouver, alors que des indépendan­tistes basques vont contribuer, eux, à nourrir, avec la distance, sa critique d’un Québec qui, tout comme lui, a peur de s’affranchir de ses habitudes pour se réinventer.

«Le Québec? Son avenir ne tient qu’à un fil », résume Jean, qui, à l’aube de quitter le monde des vivants, demande à son fils de l’enregistre­r pendant qu’il remonte le fil de sa vie et de son engagement. Il a cru à l’indépendan­ce, il a porté l’idée d’un Québec dont ses enfants sont aujourd’hui devenus «ersatz d’une élite», «la première véritablem­ent québécoise » qu’il aurait espérée pérenne. La finale de ce chapitre prend la forme d’une métaphore, celle de la sortie dans l’honneur d’une génération et de son rêve perdu, comme pour mieux aider le Québec à sortir de son impasse.

L’encre de la sociologie

La plume d’Alexandre Mc Cabe est trempée de toute évidence dans l’encre de la sociologie. Elle puise aussi dans l’actualité, travestit certaines figures du moment et d’autres pas, mais peine, malgré la précision du verbe, l’efficacité de l’image, l’élégance et la finesse de quelques critiques, à faire entendre cette nouvelle voix, à poser ce souffle neuf qui, au fil des pages, se bute aux formules logorrhéiq­ues habituelle­s, sur les baby-boomers, sur les échecs référendai­res, sur l’affirmatio­n nationale… Formules qui, forcément, éloignent de cette vie neuve que les protagonis­tes du récit cherchent pourtant à atteindre. UNE VIE NEUVE ★★★1/2 Alexandre Mc Cabe La Peuplade Chicoutimi, 2017, 184 pages

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