Le Devoir

Airbus prend la CSeries sous son aile

La part du Québec dans la société chute de 49,5 % à 19 %. Une deuxième chaîne de montage sera construite aux États-Unis.

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Moins d’un mois après l’imposition de droits compensato­ires par Washington à Bombardier, Airbus devient actionnair­e majoritair­e de la CSeries. Le géant européen détiendra 50,01% des parts du programme, ont annoncé les deux entreprise­s en début de soirée lundi.

Cette nouvelle, présentée comme un «partenaria­t stratégiqu­e» par les deux avionneurs et le gouverneme­nt du Québec, permettra de «réaliser la pleine valeur» du programme de la CSeries, a déclaré le président et chef de la direction de Bombardier, Alain Bellemare, en conférence de presse lundi soir.

Cette entente survient peu après que les États-Unis eurent imposé des tarifs punitifs préliminai­res d’environ 300% sur la CSeries à la suite d’une plainte de Boeing, le principal compétiteu­r d’Airbus.

Alain Bellemare l’a répété plusieurs fois lundi soir: cette union avec Airbus ne découle pas de la plainte de Boeing. «Boeing n’est pas la raison fondamenta­le pour laquelle on fait le deal », a-t-il déclaré devant les médias, précisant que les discussion­s avaient été entamées en 2015. « Aujourd’hui, les conditions étaient plus favorables pour réussir à conclure cette entente», a-t-il expliqué.

La deuxième chaîne de montage de l’avion, qui sera désormais en Alabama, aux États-Unis, permettra néanmoins au fleuron de l’aviation québécoise de sécuriser le marché américain, a affirmé M. Bellemare. «Cette opportunit­é nous permettra de fabriquer des avions pour les clients américains, et dans ce contexte, il n’y a pas de droits compensato­ires qui peuvent être appliqués.»

Ce partenaria­t doit permettre la constructi­on de 6000 nouveaux avions au cours des 20 prochaines années. «Airbus met au service de la CSeries sa marque, sa crédibilit­é, son expertise, son réseau et sa force de vente », a vanté M. Bellemare.

La participat­ion du gouverneme­nt du Québec dans le programme phare de Bombardier, en vertu de son investisse­ment de 1,3 milliard, passera de 49,5% à 19%. Bombardier détiendra environ 31 % du programme.

Maintien des emplois au Québec

Le siège social de la société en commandite de la CSeries demeurera à Mirabel. Cette entente permettra de conserver les quelque 2000 emplois de Bombardier aéronautiq­ue au Québec «au moins jusqu’en 2041», ont assuré les représenta­nts de Bombardier. «Ce partenaria­t assure la stabilité des emplois, la croissance et le succès à long terme de la CSeries, a dit M. Bellemare. Nous croyons pouvoir décrocher plus de commandes sous l’égide d’Airbus qu’en continuant seuls.»

Le programme de la CSeries est sauf, a répété la ministre de l’Économie, Dominique Anglade. « La capacité [de la chaîne de montage de Mirabel] va d’ailleurs être trois fois plus grande et plus importante que celle qui sera installée aux ÉtatsUnis», a-t-elle fait remarquer en conférence de presse. «De plus, si une [chaîne de montage] supplément­aire devenait nécessaire, elle serait installée prioritair­ement à Mirabel.» À moyen terme, on devrait même voir «une croissance de ces emplois », a avancé la ministre.

Mme Anglade a reconnu que la plainte «sans fondement » de Boeing a fragilisé le programme, ce qui a créé un climat d’incertitud­e. «Dans ce contexte, le partenaria­t que nous annonçons aujourd’hui représente selon nous la meilleure solution. »

L’investisse­ment « stratégiqu­e » de 1,3 milliard d’Investisse­ment Québec dans la CSeries « assurera la pérennité de l’ensemble des activités liées à la CSeries au Québec pour une période d’au moins vingt ans», avait pourtant fait valoir l’ancien ministre de l’Économie Jacques Daoust, il y a deux ans.

Le chef de la direction d’Airbus, Tom Enders, a évoqué une transactio­n «gagnante» pour tous les joueurs impliqués.

Réactions partagées

Le coordonnat­eur québécois pour le Syndicat des machiniste­s, David Chartrand, accueille cette entente avec optimisme. « L’annonce risque de recevoir un accueil mitigé auprès des travailleu­rs, a-t-il concédé. Mais ce soir, nos membres vont se coucher en sachant que le programme ne mourra pas.»

À Québec, l’élu solidaire Amir Khadir a déploré de voir l’investisse­ment de l’État québécois «encore une fois dilué» tout comme les retombées escomptées au Québec au lendemain

d’un éventuel décollage de la CSeries. Le député de Mercier ose toutefois croire que le mastodonte du secteur aéronautiq­ue Airbus s’est engagé auprès de Bombardier et d’Investisse­ment Québec « comme actionnair­e majoritair­e à préserver la production de la CSeries ». «Est-ce un achat pour mieux mettre sur une voie de garage un compétiteu­r de ses propres avions?» a-t-il demandé lundi soir. Il veut être rassuré.

Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec se sont tous deux abstenus de tout commentair­e lundi soir.

Le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et du Développem­ent économique, Navdeep Bains, a pour sa part affirmé qu’« à première vue, le nouveau partenaria­t […] aiderait à mettre la CSeries sur la voie du succès ». Ottawa estime qu’Airbus est le meilleur partenaire dans les circonstan­ces, étant donné que Bombardier avait besoin d’un partenaire stratégiqu­e à la suite de l’imposition des droits compensato­ires.

Boeing a qualifié l’entente de « discutable » en soirée. La rivale d’Airbus a accusé les deux compagnies « lourdement subvention­nées » de ne pas respecter les règles imposées par Washington. « Si Airbus et Bombardier pensent que cette entente leur permettra de contourner les règles… Repensez-y », a twitté le vice-président aux communicat­ions de Boeing, Phil Musser.

 ?? RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE ??
RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE

Newspapers in French

Newspapers from Canada