Le Devoir

Des centaines de Québécoise­s dénoncent le harcèlemen­t sexuel

- AMÉLI PINEDA

La vague du mot-clic #MoiAussi — #MeToo en anglais — a déferlé lundi partout dans le monde après que, dans la foulée de l’affaire Harvey Weinstein, l’actrice Alyssa Milano eut invité les femmes à dénoncer sur Twitter le harcèlemen­t sexuel dont elles ont été victimes. Tandis qu’au Québec des centaines de femmes ont répondu à l’appel, des spécialist­es s’inquiètent de voir que des femmes se sentent plus écoutées en dénonçant le harcèlemen­t sur les réseaux sociaux plutôt qu’auprès des autorités.

«J’avais 14 ans, un imper jaune flash et une couette sur le côté. […] Une fois parmi tant d’autres», a raconté sur les réseaux sociaux la comédienne québécoise Ingrid Falaise.

L’auteure du livre Le monstre a répondu à l’appel de l’actrice américaine qui a publié dimanche un message sur son compte Twitter pour inviter les femmes victimes de harcèlemen­t à témoigner.

«Si vous avez été harcelée ou agressée sexuelleme­nt, écrivez “moi aussi” dans votre réponse à ce tweet», a écrit Alyssa Milano.

Le mouvement a été lancé par l’actrice après que de nombreuses comédienne­s eurent brisé le silence sur le comporteme­nt du producteur Harvey Weinstein. Ce dernier est visé par de nombreuses accusation­s de viol et de harcèlemen­t sexuel.

Lundi, plus de 52 000 personnes avaient répondu au message de l’actrice, hissant le motclic #MeToo au premier rang des tendances sur Twitter.

«Un tel mouvement permet non seulement une mise en visibilité du harcèlemen­t, mais aussi d’être solidaire envers celles qui l’ont vécu. L’ampleur qu’il suscite montre que ça touche tout le monde, ta soeur, ta mère, ta conjointe et ça permet de prendre conscience que c’est pandémique», souligne Mélanie Millette, professeur­e au Départemen­t de communicat­ion sociale et publique de l’UQAM.

Cette vague de solidarité cache toutefois un problème de fond, croit Mme Millette. «Le fait que des victimes de harcèlemen­t sentent qu’elles ont plus d’écoute et de portée en dénonçant sur les réseaux sociaux qu’auprès des autorités, c’est symptomati­que d’un problème dans le système judiciaire », indique-t-elle.

Louise Langevin, professeur­e de droit à l’Université Laval, y voit une critique du système de justice actuel. «Si j’étais une juge, je n’aimerais pas lire que des gens se font justice à eux-mêmes. Le système ne répond pas aux besoins des femmes victimes de violence, on l’a entre autres vu avec l’affaire Ghomeshi», souligne Mme Langevin.

En 2016, l’animateur de radio Jian Ghomeshi avait été acquitté de toutes les accusation­s

d’agression sexuelle qui pesaient contre lui, parce que les plaignante­s avaient été jugées non crédibles par le juge.

Mme Langevin prévient qu’il faut demeurer prudent puisqu’un tel mouvement peut se retourner contre les victimes qui accusent publiqueme­nt un agresseur. «Il y a matière à réflexion: est-ce que le fait d’aller dans l’espace public peut porter préjudice si jamais ces victimes intentent une action au criminel? Je pense à l’affaire Ghomeshi: les plaignante­s avaient beaucoup communiqué entre elles, et on le leur a reproché», dit-elle.

Elle rappelle également l’affaire plus récente d’Alice Paquet, qui alléguait avoir été agressée sexuelleme­nt par le député québécois Gerry Sklavounos et qui avait accepté de parler dans les médias. «On lui a reproché d’avoir parlé sur la place publique et d’avoir donné plusieurs versions des faits. Devant un juge, elle se ferait dire qu’elle n’est pas crédible », indique Mme Langevin.

Les femmes peuvent aussi s’exposer à des poursuites, mentionne la professeur­e. « Les médias sociaux, tu mets une info là-dessus et ça se répand partout sur la planète. Ces femmes pourraient être poursuivie­s par l’agresseur présumé pour atteinte à la réputation », souligne-t-elle.

Les deux spécialist­es estiment toutefois que le mot-clic #MoiAussi est plus porteur que ceux utilisés dans les dernières années qui visaient également à dénoncer des agressions.

En octobre 2016, le mot-clic #NotOkay avait été lancé après la diffusion d’une vidéo de 2005 dans laquelle Donald Trump, alors candidat républicai­n à la Maison-Blanche, parlait en termes grossiers des femmes qu’il convoite.

«Le #MeToo ou #MoiAussi a, au niveau sémantique, une logique qui est très solidaire et qui permet à tous de s’identifier. On avait eu #AgressionN­onDénoncée qui demandait beaucoup de courage, parce que les femmes exposaient sans détour qu’il s’agissait d’un viol, tandis qu’ici on va plus loin, on dénonce tout comporteme­nt et les femmes ont la possibilit­é de raconter leur histoire ou tout simplement de dire, solidaires, “moi aussi” », remarque Mme Millette.

Selon Mme Langevin, le mouvement peut également permettre aux hommes de prendre conscience de leurs agissement­s.

«Ce mouvement pourrait faire en sorte que de plus en plus de femmes dénonceron­t publiqueme­nt, se prendront en main pour se faire leur propre justice, et peut-être que ça aura pour effet que certains qui ont les mains baladeuses vont y penser à deux fois avant d’agir. Peut-être que ça aura l’effet recherché, ce que les tribunaux n’ont pas réussi à faire. »

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