Le Devoir

Donald Trump et le nucléaire iranien, une autre faille du leadership américain

- PIERRE-ALEXANDRE CARDINAL Étudiant au doctorat en droit à l’Université McGill

Peu après ses fracassant­es déclaratio­ns contre la Corée du Nord, le président Trump s’y remet, cette fois prenant pour cible l’accord sur son programme nucléaire négocié avec la République iranienne. Au-delà de l’intimidati­on géopolitiq­ue pure et simple, la décertific­ation de l’accord atteint un nouvel abysse d’irresponsa­bilité politique…

C’est à déclaratio­ns à demi voilées que le président, accompagné des acteurs principaux de l’étatmajor américain, annonçait, la semaine dernière, le «calme avant la tempête». Bien que les apparences laissent croire qu’il s’apprêtait encore à s’en prendre au régime nord-coréen, Trump a décidé de ne pas certifier l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et d’ainsi laisser au Congrès le soin de décider des prochaines étapes. Les prochains mois pourraient voir les États-Unis tenter d’amender l’accord, de reprendre des sanctions contre l’Iran, ou encore, dans la présente lignée, de tout simplement se désengager de tout leadership. L’accord, négocié en 2015 entre les membres permanents du Conseil de sécurité — garants de la paix internatio­nale —, l’Union européenne et la République iranienne, prévoyait une mise en action limitant les capacités militaires du programme nucléaire iranien.

Il y a deux semaines, certains médias annonçaien­t déjà que Trump allait contredire ses principaux conseiller­s à la sécurité nationale (dont Jim Mattis, secrétaire à la Défense, et Rex Tillerson, secrétaire d’État, qui ont depuis réitéré leur soutien à l’accord) et déclarer l’accord contraire à la sécurité nationale américaine, ce qu’il a confirmé en conférence de presse vendredi dernier. Bien que le retrait américain de sa certificat­ion à l’accord négocié entre sept États ne puisse pas unilatéral­ement mettre fin à celui-ci, cet acte pourrait faire reconsidér­er certains autres acteurs, notamment le principal intéressé, l’Iran, et un autre caillou dans la botte américaine, la Corée du Nord.

La nouvelle stratégie américaine sur l’Iran, annoncée jeudi dernier, prévoit une posture plus robuste contre le régime iranien, notamment quant à son « influence déstabilis­ante » dans la région, et entrevoit aussi de s’en prendre directemen­t aux Gardiens de la révolution. Le gouverneme­nt américain prévoit inscrire l’organe sécuritair­e iranien à sa liste des organisati­ons terroriste­s. Le point central et problémati­que de cette stratégie, toutefois, est qu’elle risque de mener, après un vote du Congrès (où les républicai­ns sont en majorité) tenu dans les 60 jours, à une reprise des sanctions américaine­s contre le régime iranien. Une reprise des sanctions mènerait possibleme­nt à une sortie de l’accord par le régime iranien, à l’expulsion des inspecteur­s de l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA, le seul observateu­r externe sur le programme iranien) et à une reprise du programme nucléaire préaccord.

Sécurité mondiale

Ce genre de politique risque malheureus­ement de mener à un durcisseme­nt de la position iranienne. Déjà, avant l’annonce officielle de la position américaine la semaine dernière, les médias iraniens faisaient circuler une photo montrant le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, et le commandant des Gardiens de la révolution, le général-major Mohammad Ali Jafari, représenta­nt respective­ment les ailes modérée libérale et radicale conservatr­ice du gouverneme­nt iranien, dans une étreinte amicale. En effet, historique­ment, des pressions externes belliqueus­es ont souvent mené en Iran à des alliances entre diverses factions autrement opposées afin de faire face à la menace. Une tombée de l’Accord de Vienne signalerai­t malheureus­ement une volteface de la politique réformiste d’ouverture du gouverneme­nt Rohani vers une position belligéran­te dictée par les éléments plus radicaux et conservate­urs, à saveur Ahmadineja­d. En effet, Zarif affirmait justement sur Twitter, dimanche, que les «Iraniens — garçons et filles, hommes et femmes — sont des Gardiens de la révolution».

Mais encore, le rejet de la certificat­ion de l’accord sur les bases du non-respect de ses obligation­s par l’Iran, une position démentie par l’AIEA, ne risque pas de mener, surtout en cas de sanctions, à une détente des tensions régionales. En effet, le rejet de l’accord s’inscrit dans la vision prônée par le premier ministre israélien Nétanyahou, bien connu pour sa politique antagonist­e quant au régime iranien. Selon le président Rohani, les États-Unis, en ne certifiant pas l’accord, ne s’opposeraie­nt pas uniquement à l’Iran, mais à une décision du Conseil de sécurité, à l’Union européenne et au monde entier.

Mais cette faille de la diplomatie américaine ne s’arrête pas là. Cette dynamique s’inscrit aussi dans le profil de la crise nord-coréenne, dans laquelle Trump doit absolument faire appel à Pékin et Moscou, deux alliés de longue date de Téhéran et catalyseur­s de l’Accord de Vienne, pour contrebala­ncer les actions du loup solitaire de Pyongyang, face auquel le gouverneme­nt américain est à court de moyens. Le rejet de l’accord iranien envoie d’autant plus un fort signal à Pyongyang, c’est-à-dire que les États-Unis n’ont rien à faire ni du droit internatio­nal ni d’une politique concertée avec ses alliés pour une détente des tensions. En effet, les éléments clés de la sécurité internatio­nale étant la fiabilité et la crédibilit­é des acteurs en cause, Trump, par ses actions erratiques, constitue de plus en plus une menace à la sécurité mondiale.

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AGENCE FRANCE-PRESSE Le point central et problémati­que de la stratégie américaine est qu’elle risque de mener à une reprise des sanctions contre le régime iranien.

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