Le Devoir

Fausses nouvelles et vraies actions

PIERRE TRUDEL

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Le président Trump n’a pas inventé les fausses nouvelles. Cela dit, la place accrue qu’elles prennent dans l’espace public nécessite de revoir le fonctionne­ment des environnem­ents dans lesquels circulent les informatio­ns. Afin de baliser les tendances qui font la belle vie aux faussetés, les décideurs publics et privés doivent se donner les moyens d’agir sur les services en ligne qui jouent un rôle crucial dans la disséminat­ion de l’informatio­n.

L’expression « fausse nouvelle » renvoie à des réalités fort différente­s. Il faut distinguer ce qui relève de la satire ou de la parodie de ce qui constitue de la fabricatio­n éhontée dans le but d’induire le public à croire quelque chose.

Une première catégorie souvent visée lorsqu’on parle de fausses nouvelles est la satire ou la parodie. Sur Internet, des sites présentent des parodies inspirées de la réalité et utilisent un environnem­ent graphique semblable à ceux des sites de médias connus pour diffuser des messages critiques sur un ton loufoque. Certains peuvent être induits en erreur. Mais c’est souvent parce qu’ils ont été peu attentifs aux détails qui auraient dû les alerter du caractère humoristiq­ue du propos.

Plus préoccupan­te est la fabricatio­n de nouvelles fondées sur des faits inventés. Par exemple, à la veille de la première guerre du Golfe, une prétendue infirmière avait publiqueme­nt livré en larmes un témoignage selon lequel des soldats irakiens entrés au Koweït avaient laissé mourir des nouveau-nés sortis de force de leurs incubateur­s. Il a plus tard été démontré que ce «témoin» était en réalité la fille de l’ambassadeu­r du Koweït à Washington et que tout cela relevait de la mise en scène en vue de tromper l’opinion publique.

La manipulati­on des images pose aussi des défis. Les technologi­es numériques mettent à la portée de pratiqueme­nt tout le monde une capacité de forger ou de modifier des images avec une telle perfection que même les observateu­rs avertis peuvent aisément tomber dans le panneau.

On convient que les différente­s catégories de « fausses nouvelles » n’appellent pas toutes les mêmes interventi­ons. Alors que la capacité de distinguer le propos satirique relève d’une stratégie de promotion de l’améliorati­on des capacités de lecture des internaute­s, la lutte contre la falsificat­ion volontaire passe par des régulation­s plus conséquent­es.

Bien sûr, on ne parviendra jamais à supprimer le mensonge et le sophisme : ces travers semblent inhérents à la nature humaine. Mais pour limiter les dégâts engendrés par les faussetés, il importe de comprendre et d’agir sur la régulation des flux d’informatio­n dans l’espace des réseaux.

Les processus algorithmi­ques

L’informatio­n circule de plus en plus sur les plateforme­s Internet. Elle se répand par viralité au moyen des partages qu’en font les usagers et les acteurs dominants du réseau. Des algorithme­s traitant des masses d’informatio­ns sont utilisés afin de déterminer celles qui seront présentées aux différents individus. Ces outils numériques fonctionne­nt en pleine opacité. Protégés par le secret commercial, ces algorithme­s sont aux mains d’entreprise­s privées qui les utilisent principale­ment pour créer de la valeur, notamment aux fins de vendre l’attention des internaute­s aux publicitai­res.

Les processus algorithmi­ques marquent un changement majeur dans les modes de circulatio­n des informatio­ns relatives aux affaires qui concernent la collectivi­té. L’informatio­n ne circule plus en fonction de l’importance qu’elle peut avoir aux yeux d’éditeurs qui la vérifient et la hiérarchis­ent en fonction de ce qu’ils conçoivent comme correspond­ant à l’intérêt public.

Les processus algorithmi­ques induisent plutôt une circulatio­n de l’informatio­n en fonction de ce qui attire l’attention, de ce qui conforte chacun des individus. La hiérarchis­ation de l’informatio­n n’est plus aux mains d’intermédia­ires comme les journalist­es et les éditeurs de médias qui sont appelés à rendre compte de leurs décisions. L’informatio­n est de plus en plus aiguillée en fonction des préférence­s individuel­les, calculées au moyen des processus algorithmi­ques et des masses de données générées par les activités connectées. Ces processus qui utilisent pourtant des ressources collective­s comme les données massives sont pour la plupart fondés sur des critères tenus secrets.

Envisagé ainsi, le phénomène des fausses nouvelles requiert que les autorités publiques et l’ensemble des institutio­ns démocratiq­ues insistent pour imposer des obligation­s de transparen­ce aux différents acteurs faisant usage de processus algorithmi­ques. Lorsque ces processus jouent un rôle aussi crucial dans la circulatio­n de l’informatio­n, il devient irresponsa­ble de les exempter des obligation­s de transparen­ce qui devraient incomber à tous dans une société démocratiq­ue. Lutter contre le fléau des fausses nouvelles requiert des régulation­s garantissa­nt l’imputabili­té des algorithme­s.

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