Le Devoir

Deux dirigeants indépendan­tistes placés en détention

- MICHAELA CANCELA-KIEFFER à Madrid MARIANNE BARRIAUX à Barcelone

Une juge d’instructio­n a placé, lundi soir, en détention les deux dirigeants des principale­s associatio­ns indépendan­tistes de Catalogne, qui ont une très forte capacité de mobilisati­on, ce qui risque d’envenimer encore la crise entre Madrid et la région.

Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, inculpés pour sédition par l’Audience nationale, un tribunal chargé notamment des affaires de sécurité nationale, ont été écroués à la prison de Soto del Real, non loin de Madrid, en début de soirée.

L’annonce de leur placement en détention a entraîné dans toute la Catalogne des concerts de casseroles, en signe de protestati­on, alors que l’Espagne s’enfonce chaque jour un peu plus dans une crise politique sans précédent depuis qu’elle a retrouvé la démocratie.

Cette crise oppose Madrid aux séparatist­es au pouvoir dans cette région grande comme la Belgique, qui menacent de déclarer l’indépendan­ce de manière unilatéral­e sur le fondement d’un référendum d’autodéterm­ination organisé le 1er octobre malgré son interdicti­on par la justice, qu’ils estiment avoir remporté avec 90 % des voix et 43 % de participat­ion.

Jordi Cuixart et Jordi Sanchez sont soupçonnés d’avoir encouragé des centaines de personnes le 20 septembre à Barcelone à bloquer la sortie d’un bâtiment où des gardes civils menaient des perquisiti­ons, en lien, justement, avec l’organisati­on du référendum. Ces gardes civils y étaient restés bloqués jusqu’au milieu de la nuit.

Les associatio­ns de Jordi Cuixart et de Jordi Sanchez, Omnium Cultural et l’Assemblée nationale catalane (ANC), sont les fers de lance de l’indépendan­tisme en Catalogne, divisée presque à parts égales entre les partisans du maintien au sein de l’Espagne et ceux de la sécession.

Le porte-parole du gouverneme­nt séparatist­e catalan a qualifié lundi soir de « provocatio­n de l’État espagnol» le placement en détention des deux hommes inculpés pour « sédition », appelant cependant leurs sympathisa­nts à rester pacifiques. «Nous avons à nouveau, tristement, des prisonnier­s politiques » en Espagne, a de son côté estimé le président indépendan­tiste catalan Carles Puigdemont dans un message posté en anglais sur son compte Twitter.

«Liberté aux Jordis», lisaiton sur l’affiche d’un des manifestan­ts, environ 400, massés sur une place du centre de Barcelone vers minuit.

Ultimatum

Ces détentions intervienn­ent alors que Madrid a donné lundi un ultime délai de trois jours au président séparatist­e pour qu’il revienne à la légalité. Depuis une semaine, Carles Puigdemont laisse planer la possibilit­é d’une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce, laissant entendre, sans le dire ouvertemen­t, qu’il a «suspendu» cette déclaratio­n en vue d’un dialogue avec Madrid.

« Nous espérons que dans les heures qui viennent […] vous répondrez avec la clarté que tous les citoyens exigent », a écrit le premier ministre espagnol Mariano Rajoy à Carles Puigdemont, soulignant qu’il n’avait plus que trois jours, jusqu’à jeudi 10h (8h GMT), pour revenir dans le droit chemin.

Il répondait ainsi à une lettre du président catalan qui lui faisait part de son souhait de «dialoguer pour les deux prochains mois », tout en s’abstenant de préciser noir sur blanc, comme Madrid l’exige, si sa région avait ou non proclamé l’indépendan­ce.

M. Puigdemont a laissé aussi planer le doute sur l’objet de ce dialogue, évoquant «le souhait du peuple catalan» de «commencer son chemin en tant que pays indépendan­t ».

Bien que la société catalane soit profondéme­nt divisée, Carles Puigdemont estime avoir un «mandat» pour faire sécession en s’appuyant sur le référendum d’autodéterm­ination du 1er octobre, qui a été boycotté par l’opposition.

S’il persiste, le gouverneme­nt central pourrait suspendre totalement ou partiellem­ent l’autonomie de la Catalogne, du jamais vu en Espagne depuis la dictature de Francisco Franco (1939-1975). Beaucoup craignent cependant qu’une telle mesure n’entraîne des troubles en Catalogne, une région de 7,5 millions d’habitants très attachée à sa langue et à sa culture.

M. Rajoy continue pour sa part à refuser tout dialogue tant que les séparatist­es ne lèveront pas leur menace de proclamer unilatéral­ement l’indépendan­ce.

Newspapers in French

Newspapers from Canada