Le Devoir

La fonction philosophi­que du théâtre

LAST NIGHT I DREAMT THAT SOMEBODY LOVED ME Texte et mise en scène : Angela Konrad. Une coproducti­on de La Fabrik et d’Angela Konrad. À l’Usine C jusqu’au 21 octobre.

- SARA FAUTEUX Collaborat­rice Le Devoir

C’est avec une adaptation libre de La cerisaie de Tchekhov, Variations pour une déchéance annoncée, qu’Angela Konrad a d’abord séduit les Montréalai­s. Sa jouissive mise en scène de Macbeth et son saisissant Royaume des animaux, de Roland Schimmelpf­ennig, ont confirmé l’intérêt de la démarche de la metteure en scène d’origine allemande qui poursuit son interrogat­ion critique du monde avec Last Night I Dreamt That Somebody Loved Me, un spectacle «conçu pour un acteur, quatre danseurs et un chien», dont la singularit­é affectée finit par rater sa cible.

Angela Konrad délaisse cette fois-ci le répertoire pour se pencher sur la philosophi­e et la musique pop. Elle cherche ainsi à tisser des liens entre la culture du narcissism­e et la quête du bonheur, tout en continuant à développer son langage scénique propre. Le texte, que Konrad signe, est un monologue psychophil­osophique inspiré par la pensée d’Alain Badiou, Christophe­r Lasch, Alain Ehrenberg, Bernard Stiegler et Freud, entre autres. Le spectacle est ponctué de chansons sentimenta­les et emblématiq­ues de The Smiths, Morrissey ou Shirley Bassey, dont les paroles sont projetées sobrement par Julien Blais sur un grand écran blanc.

La scène, dans la conception d’Anick La Bissonnièr­e, découpée seulement par les éclairages de Cedric DelormeBou­chard, apparaît magnifique­ment dénudée. Cet espace est peut-être la représenta­tion de la psyché de l’unique personnage de la pièce, incarné par Éric Bernier, qui, en Narcisse contempora­in, ne se lasse pas de contempler son reflet et d’y chercher un sens. Vaine quête effrénée, comme celle du bonheur et de l’amour absolu qui le tourmente. Pris au piège de la beauté, de la jeunesse, de la consommati­on, des réseaux sociaux, incapable de penser le monde à l’extérieur de lui-même, il se perd en divagation­s mais n’atteint jamais la profondeur voulue.

Faisant figure d’amants regrettés, d’alter ego, ou encore de cet autre qui nous révèle souvent à nous-mêmes, les danseurs Marilyn Daoust, Luc Bouchard Boissonnea­ult, Sébastien Provencher, Nicolas Patry et Emmanuel Proulx hantent sa rêverie avec des chorégraph­ies très sobres, comme contenues, dans lesquelles on cherche en vain le sublime qu’ils sont censés insuffler à cet univers. D’un chic décontract­é dans les costumes de Linda Brunelle, ils oscillent entre le mouvement et la pose, entre le corps et l’image.

Alors que les spectacles de Konrad font habituelle­ment la part belle aux acteurs en leur fournissan­t un vaste terrain de jeu dans lequel la démesure et le corps servent à porter les mots, Bernier restera muselé dans une dramaturgi­e circulaire. La partition du comédien est répétitive (à l’excès), verbeuse et dénuée de moteur dramatique autre que l’obser vation de lui-même. C’est là le principal écueil de cette propositio­n théâtrale, qui en freine la portée. Les corps, comme les mots, sont toujours conscients de leur représenta­tion et du discours qui les sous-tend, de la forme qui les organise. En tentant de convoquer le tragique par la dérision, Konrad échoue à s’affranchir de son concept.

 ?? MAXIME ROBERT-LACHAINE ?? Faisant figure d’amants regrettés, d’alter ego, ou encore de cet autre qui nous révèle souvent à nousmêmes, les danseurs hantent la rêverie de l’unique personnage interprété par Éric Bernier.
MAXIME ROBERT-LACHAINE Faisant figure d’amants regrettés, d’alter ego, ou encore de cet autre qui nous révèle souvent à nousmêmes, les danseurs hantent la rêverie de l’unique personnage interprété par Éric Bernier.

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