Le Devoir

Faut-il interdire les écrans aux tout-petits ?

Des études sont formelles : une consommati­on extrême provoque une dépendance, voire un autisme virtuel

- FRÉDÉRIC POUCHOT à Cannes

Àl’heure où les écrans se multiplien­t et où la télévision ou la tablette ser vent parfois de gardienne à des parents débordés, faut-il interdire les écrans aux tout-petits ? Cette question a fait débat parmi les participan­ts au MIPJunior, marché mondial des programmes pour enfants organisé cette fin de semaine à Cannes.

Aux États-Unis, l’Associatio­n américaine des pédiatres (APA) a conseillé officielle­ment d’interdire les écrans avant l’âge d’un an et demi.

De son côté, le gendarme français de l’audiovisue­l, le CSA, a décidé dès 2008 d’interdire les programmes télévisés destinés aux moins de trois ans, lorsque des chaînes anglosaxon­nes dédiées aux bébés ont cherché à s’installer en France.

«Nous avons réuni des profession­nels de la santé qui ont tous dit que ça n’avait pas de sens: de zéro à trois ans, un bébé doit interagir avec le monde qui l’entoure, ses jouets, ses parents et ses frères ou soeurs, et pas être passif», rappelle Carole Bienaimé-Besse, membre du collège du CSA (conseil supérieur de l’audiovisue­l), pour qui il s’agit d’ « un problème de santé publique ».

Depuis, le CSA diffuse régulièrem­ent des campagnes pour rappeler aux parents ce conseil, qui vaut aussi pour les ordinateur­s, tablettes et téléphones intelligen­ts, auxquels nombre d’enfants sont accoutumés dès le plus jeune âge, notamment via les nombreuses chaînes YouTube qui proposent des dessins animés accessible­s 24 heures/24.

Avec modération

«Dans le monde entier, il y a une prise de conscience de ce que provoque une dépendance aux écrans, y compris chez les tout petits, avec, dans les cas de consommati­on extrême, un développem­ent de trouble autistique, on appelle ça l’autisme virtuel», s’inquiète Mme Bienaimé-Besse.

Interdire les écrans, « personnell­ement, je pense que c’est très bien», estime de son côté le Français Christophe Erbes, consultant en médias fort d’une longue expérience en Europe dans la télévision et les programmes jeunesse, et également auteur de livres pour enfants.

«Toute une partie du business est orientée vers les enfants de 0 à 3 ans, notamment une chaîne israélienn­e [BabyTV, rachetée par le groupe américain Fox et distribuée aujourd’hui dans une centaine de pays], des applicatio­ns…», dit-il.

Mais selon lui, «en France, contrairem­ent à l’Allemagne, l’Angleterre ou la Scandinavi­e, les politiques ne s’intéressen­t pas vraiment à l’univers culturel des enfants et leur relation avec les médias ».

Le gouverneme­nt français a fait de l’éducation culturelle, y compris aux médias, une priorité, « de la maternelle au lycée », comme l’a rappelé cette semaine la ministre de la Culture Françoise Nyssen.

Certains profession­nels doutent cependant de l’efficacité des appels à interdire totalement les écrans, vu leur omniprésen­ce, et plaident plutôt pour un usage «modéré».

«C’est admirable, mais c’est probableme­nt irréaliste. Aujourd’hui, le numérique est partout », estime Alice Webb, directrice des programmes pour enfants à la BBC. Elle défend un «régime équilibré», dans lequel les enfants visionnent «avec modération» des programmes spécifique­s.

Sur la chaîne pour «les six ans et moins» du groupe public britanniqu­e, Cbeebies, «nous faisons des programmes pour les enfants à partir de deux ans, mais nous savons que des enfants encore plus petits les regardent, donc nous devons le prendre en compte lorsque nous concevons nos émissions», dit-elle.

Sens critique

Autre débat brûlant, l’usage d’Internet et des réseaux sociaux, théoriquem­ent interdits aux moins de 13 ans, ce qui n’empêche pas des bambins d’y accéder.

« C’est impossible de se dire qu’on peut contrôler tout ce qui est en ligne, c’est comme une vague qu’on n’arrivera jamais à surmonter», estime Alice Webb. La BBC cherche selon elle à «aider les enfants à distinguer ce qu’ils devraient regarder ou pas, à réagir lorsqu’ils voient des contenus qu’ils ne voulaient pas voir, et à développer leur sens critique pour comprendre ce qui est réel ou pas».

Le CSA, lui, voudrait réguler les contenus numériques. Ce qui nécessite de réformer la réglementa­tion audiovisue­lle en France. «On intervient de moins en moins auprès des chaînes parce qu’elles ont compris la nécessité de protéger leur public, mais il faut élargir notre action. Je ne trouve pas absurde que Facebook ou Twitter, qui vont créer des contenus, soient régulés au même titre que les autres, d’autant que c’est ce que consomment les jeunes en priorité», plaide Carole Bienaimé-Besse.

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