L’horreur dans toute sa splendeur
Le cinéaste John Carpenter connaît une popularité renouvelée grâce à sa musique
Les exemples de films boudés en leur temps reconnus plus tard comme majeurs sont trop nombreux pour être énumérés. À cet égard, le réalisateur John Carpenter constitue un excellent cas de figure rappelant aux critiques que le snobisme est le meilleur moyen de se retrouver du mauvais côté de l’histoire du cinéma. Désigné par des cinéastes tels Guillermo Del Toro et Quentin Tarantino comme une influence majeure, l’oeuvre cinématographique de Carpenter jouit depuis quelques années d’une réévaluation à la hausse. Or, ce second âge d’or s’incarne aussi à travers la musique qu’il composa pour ses films. À l’approche de
son concert sur la scène du MTelus le 13 novembre, le cinéma du Parc présente son classique de l’épouvante Halloween dès le 27 octobre. Pour autant, c’est avec un John Carpenter typiquement modeste que l’on s’est entretenu.
Lorsqu’on lui demande s’il est sensible à ce respect tardif qu’on lui a si longtemps refusé, John Carpenter répond avec truculence : « Et bien, c’est mieux que de se faire chier dessus, croyez-moi.»
Voilà qui donne une idée du personnage.
En l’occurrence, c’est par nécessité que John Carpenter composa la musique de ses premiers films, Assault on Precinct 13, une variation de Rio Bravo d’Howard Hawks recadrant l’action dans un poste de police assiégé, et Halloween, ou l’affrontement entre un psychopathe masqué silencieux et une gardienne d’enfants débrouillarde. Sans oublier auparavant le pastiche de sciencefiction Dark Star, film étudiant « gonflé » en long métrage.
« Sur Assault, j’ai tout enregistré en une journée. Pour Halloween, j’ai eu plus de temps: trois jours», précise-til en riant, confirmant du même souffle avoir composé le thème principal d’Halloween en une heure. Lequel thème s’est inscrit de manière durable dans la culture populaire.
Enfance formatrice
Un accomplissement d’autant plus remarquable qu’à l’époque, John Carpenter ne savait ni lire ni écrire la musique.
«Par contre, j’ai grandi dans une maison où la musique faisait partie du quotidien. Mes parents étaient mélomanes. Mon père avait une formation en musique classique et était professeur de musique. J’ai dû beaucoup absorber ce que j’entendais, plus jeune. Je pense que la musique classique qu’écoutaient mes parents s’est retrouvée dans mes propres constructions musicales.»
Son enfance ne fut pas seulement marquée par la musique, mais aussi, et peut-être surtout, par le cinéma. Adolescence cinéphile, il tourna très tôt des films avec sa caméra Super 8.
« J’étais fan des westerns de John Ford et d’Howard Hawks, mais le premier film où j’ai vraiment pris conscience du pouvoir de la réalisation est probablement Forbidden Planet (Planète interdite), de Fred M. Wilcox. C’est aussi avec ce film que j’ai compris à quel point la musique joue un rôle déterminant pour générer du suspense, mais aussi pour créer une atmosphère. Je devais avoir 8 ou 9 ans quand je l’ai vu? De ma vie, je n’avais jamais rien entendu de tel. La musique de Bebe et Louis Barron [pionniers de la musique électronique] m’a scié.»
Un son familier
Ceci expliquant sans doute en partie cela, composition et réalisation sont demeurées indissociables pour John Carpenter, qui signa ou cosigna la musique de la majorité de ses films. Or, même lorsqu’il composa celle de The Thing (La chose), l’immense Ennio Morricone recourut à une sonorité électronique inhabituelle pour lui, mais typique de Carpenter.
À ce propos, bien des gens certains de ne pas bien connaître la musique de John Carpenter la connaissent à leur insu. En effet, du travail du musicien Trent Raznor pour certains films de David Fincher, comme Social Network,à des succès indépendants de jeunes cinéastes comme The Guest et It Follows, sans oublier la série Stranger Things, l’influence musicale de Carpenter s’est propagée au point où son patronyme est désormais synonyme d’un style musical immédiatement reconnaissable : un son électronique minimaliste qui induit une tension sourde en recourant à des synthétiseurs.
Récemment, la reprise par Raznor du thème d’Halloween a énormément circulé sur les réseaux sociaux.
Musique ou cinéma?
C’est toutefois en compagnie de son fils Cody que John Carpenter a repris goût à la musique, et non à cause de sa notoriété renouvelée. Entre deux sessions de jeux vidéo, les deux hommes se sont un jour mis à improviser à la guitare, aux claviers… «Ma conjointe venait de m’offrir un ordinateur équipé de tout un tas de logiciels musicaux et sonores. On s’est juste amusé. »
Créés avec son fils et son filleul Daniel Davies, les albums Lost Theme I et II parurent en 2015 et 2016. S’amorça une tournée, la première à vie de John Carpenter, qui se poursuit à guichets fermés. En octobre dernier est sorti Anthology : Movie Themes 1974-1998. Cette productivité est aux antipodes de celle qu’il a déployée au cinéma, avec seulement trois films en 20 ans, dont le plus récent remonte à 2010.
Si on lui offrait de réaliser un film ou d’enregistrer un album, que choisirait-il à présent ? « L’album ! C’est tellement plus agréable; moins stressant. Quoiqu’avec le bon projet, je réaliserais volontiers un autre film. Mais il faudrait qu’on me fiche la paix. »
On touche ici à la nature profonde de l’auteur. Ainsi, John Carpenter n’a jamais fait partie de la fratrie du «Nouvel Hollywood» avec les Spielberg, Lucas, De Palma et autre Scorsese, dont il est pourtant le contemporain et avec qui il partage un parcours et des intérêts similaires. Ses pairs ne l’ont pas tenu à l’écart: se définissant comme un «vieux gauchiste dans un monde qui va inexorablement à droite », Carpenter est un solitaire, à l’instar de la plupart des protagonistes qu’il a mis en scène.
Quant aux intrigues qu’il a privilégiées, elles possèdent toutes une composante antiestablishment.
Premier amour
Sachant cela, on ne s’étonne guère que John Carpenter eût consenti à composer la musique de la nouvelle suite d’Halloween que réalisera David Gordon Green. C’est la boîte indépendante Blumhouse Pictures, derrière des succès répétés en horreur comme The Conjuring (La conjuration), Split et Get Out, qui produira. Et Blumhouse n’a pas la réputation de donner dans la microgestion, contrairement aux grands studios. Ce qui n’a sûrement pas déplu à Carpenter, qui ne voulait pas réaliser lui-même.
«J’espère juste avoir plus de trois jours pour faire la musique ! rigole-t-il encore. Sérieusement, j’essaie de ne pas y penser pour l’instant. Je vais discuter avec David et la production pour déterminer ce qu’ils veulent exactement: des variations du thème original? Quelque chose d’entièrement nouveau ? C’est excitant », conclut John Carpenter.
À défaut de retourner derrière la caméra, c’est en tout cas un rapprochement. «Le cinéma a toujours été et restera toujours mon premier amour », confie-t-il après un silence.
Après des années d’indifférence, on se réjouit que John Carpenter soit enfin aimé en retour.