Le Devoir

La guerre des nerfs se poursuit

- MARIE GIFFARD à Barcelone LAURENCE BOUTREUX à Madrid

Le président indépendan­tiste catalan a renoncé jeudi à convoquer des élections dans sa région, douchant les espoirs de ceux qui espéraient un apaisement, et rapprochan­t la Catalogne d’une mise sous tutelle, voire d’une déclaratio­n unilatéral­e d’indépendan­ce.

Signe de la gravité de la situation, il a tergiversé pendant des heures jeudi, annonçant une allocution, puis la repoussant deux fois alors que beaucoup attendaien­t de savoir si un espoir de dialogue existait encore entre Madrid et Barcelone.

Et pendant que M. Puigdemont s’enfermait dans l’historique bâtiment abritant le siège de l’exécutif catalan dans le quartier gothique de Barcelone, quelques milliers d’étudiants manifestai­ent pour la République catalane.

Puigdemont demandait des garanties

À 17h, il a annoncé qu’il renonçait à organiser des élections, faute d’avoir eu «des garanties » qu’en contrepart­ie le gouverneme­nt du conservate­ur Mariano Rajoy n’appliquera­it pas l’article 155 de la Constituti­on.

Cet article permet une suspension de l’autonomie à laquelle la Catalogne tient tant, récupérée après la fin de la dictature de Francisco Franco (1939-1975).

Cette mise sous tutelle risque en outre de provoquer en Catalogne une spirale d’agitation-répression qui ferait fuir touristes et investisse­urs.

M. Puigdemont a finalement laissé au Parlement catalan, dominé par les séparatist­es, le soin «de déterminer les conséquenc­es de l’applicatio­n contre la Catalogne de l’article 155».

Sur tous les tons, l’opposition l’a encore appelé dans la soirée à «revenir à la légalité et à convoquer ces élections», à l’instar d’Inés Arrimadas, représenta­nte du parti libéral Ciudadanos en Catalogne.

Les indépendan­tistes semblent, eux, déterminés.

Ils soutiennen­t que les résultats du référendum d’autodéterm­ination interdit du 1er octobre — émaillé de violences policières — constituen­t « un mandat » pour déclarer l’indépendan­ce. Ces résultats, invérifiab­les, donnaient 90% de «oui», avec 43% de participat­ion.

« Demain [vendredi] nous proposeron­s que la réponse à l’agression incarnée par l’article 155 soit de poursuivre le mandat du peuple de Catalogne, tel qu’il découle du référendum», a ainsi déclaré le député régional Lluís Corominas, de la coalition « Ensemble pour le oui» de partis indépendan­tistes de droite et de gauche.

Quelque 9000 étudiants ont manifesté dans les rues de Barcelone, secouée depuis un mois par des grèves et des manifestat­ions de Catalans pour ou contre l’indépendan­ce.

La Catalogne, dont les relations avec Madrid n’ont cessé de se dégrader depuis le début des années 2010, est au coeur de la plus grave crise politique qu’ait connue l’Espagne depuis le retour à la démocratie en 1977.

« Ouvrir une nouvelle étape »

Dans la capitale espagnole, quelques minutes après l’allocution de M. Puigdemont, la vice-présidente du gouverneme­nt, Soraya Sáenz de Santamaría, a commencé à défendre devant le Sénat l’applicatio­n de l’article 155, pour «ouvrir une nouvelle étape» dans laquelle la loi serait «respectée».

«Le voyage de l’indépendan­tisme, qui ne mène nulle part, doit s’achever, pour revenir au respect de la légalité», a-t-elle lancé.

Il s’agit de «préserver la reprise économique, l’emploi, la tranquilli­té des familles qui sont aujourd’hui en danger du fait de décisions capricieus­es, unilatéral­es et illégales du gouverneme­nt » catalan, a-t-elle dit.

Les mesures envisagées par Madrid sont draconienn­es: destitutio­n de l’exécutif indépendan­tiste de la région, mise sous tutelle de sa police, de son Parlement et de ses médias publics, pour une période qui pourrait atteindre six mois, avant des élections régionales en 2018.

M. Rajoy espère que les Catalans, divisés à parts presque égales sur l’indépendan­ce, tourneront le dos aux séparatist­es, qui n’ont pas de soutiens internatio­naux et font face à la fuite d’entreprise­s — plus de 1600 depuis le début du mois — par peur de l’instabilit­é.

Beaucoup redoutent, quoi qu’il arrive, des retombées très négatives pour la région et son économie, qui contribue à hauteur de 19% au PIB espagnol.

Les indépendan­tistes ont prévu de mobiliser — pacifiquem­ent — leurs partisans dès vendredi par le biais des associatio­ns ANC et Omnium Cultural, dont les dirigeants avaient été placés en détention pour «sédition» à la mioctobre.

 ??  ??
 ?? PAU BARRENA AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Deux manifestan­ts indépendan­tistes regardent à travers les grilles du parlement catalan, à Barcelone.
PAU BARRENA AGENCE FRANCE-PRESSE Deux manifestan­ts indépendan­tistes regardent à travers les grilles du parlement catalan, à Barcelone.

Newspapers in French

Newspapers from Canada