Le Devoir

De retour après la pause

Petit ouragan hormonal

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Twitter : @cherejoblo

Avec tout cela, nous avons oublié de souligner la Journée mondiale de la ménopause (pause des ménos), le 18 octobre. J’allais vous en parler et puis #MoiAussi est venu souligner la semaine mondiale de la pulsion hormonale et de la gonade dégoupillé­e, pour rester polie.

J’allais lever un autre tabou sur cette période de vie houleuse qui frappe les femmes dans la cinquantai­ne (et certaines bien avant), ces créatures au pinacle de leur expérience profession­nelle, à qui on ne la fait plus et qui deviennent peu à peu invisibles en société.

Plus jeunes, on nous agresse, plus vieilles, on nous jette. Nous sommes à la fois coupables de susciter le désir et de ne plus faire bander. Quel

programme! De viande fraîche à viande séchée, pour terminer en «viande froide», une expression journalist­ique qui désigne cet ultime papier sous forme de panégyriqu­e pour une personne qui vient de trépasser.

C’est l’époque où nous passons de fée à sorcière, comme l’a écrit la sexologue Jocelyne Robert dans Les femmes vintage. Et la valse des hormones amène son lot de désagrémen­ts plus ou moins sérieux. J’ai lancé une bouée sur Facebook, certaines m’ont envoyé des messages de détresse privés. Un homme aussi, désemparé de voir sa conjointe sombrer sans aide du corps médical, ces femmes complèteme­nt larguées avec leurs symptômes de mégères, leur anxiété cyclique, leurs insomnies chroniques, leurs vertiges, leur acné gênante, leurs trous de mémoire, leurs bouffées de chaleur, leur peau sèche, cheveux secs, vagin sec mais yeux et coeur humides.

La léthargie, le spleen, la perte de libido, tout y passe. Tiens, une «qui préfère demeurer anonyme » m’écrit sur son calvaire dès 39 ans: «Idées suicidaire­s, crises de panique paralysant­es, impression douloureus­e d’être prise dans un étau, fatigue extrême de jour et énergie survoltée la nuit, dormir deux-trois heures pendant des mois complets.» Des années qu’elle décrit comme la grande noirceur. Les hormones semblent lui avoir sauvé la vie et la mémoire…

Lorsque la gynéco m’a tendu une ordonnance pour faire de la physio de la vulve, je suis restée pétrifiée. Je m’étais luxé le frifri? Pourtant, je n’abuse pas, je suis mariée à un féministe andropausé qui pousse l’empathie jusqu’à se taper les sueurs nocturnes à ma place, pas à un dragon alpha libidineux. On préfère la qualité en vieillissa­nt.

Effets secondaire­s de la ménopause, semble-t-il ! J’étais déjà passée par la vestibulod­ynie à 23 ans, une affection dont on ne parle ja-mais et qui touche 8 à 21 % des femmes. Et ne comptez pas sur moi pour vous l’expliquer ici. C’est mon côté niqab. Chacune ses pudeurs. Googlez-vous un mot en «v» et faitesvous infuser une camomille.

Finalement, j’ai réglé ça par moi-même avec de l’acide hyaluroniq­ue et des incantatio­ns de sauge. À 23 ans, j’étais passée au laser. Je suis même allée consulter une sorcière qui m’a donné une crème lubrifiant­e (Lubriva) à base d’huile de rose musquée et d’onagre. «Tu peux aussi t’en servir comme crème de nuit anti-âge», m’a dit la sorcière. Vous devriez me voir le sourire. Métamorpho­sée. Chacune son truc: mon amie Suzanne, aujourd’hui âgée de 76 ans, est allée consulter les herboriste­s du Chinatown il y a 25 ans. Ils lui ont prescrit du ginseng et de la vitamine E. Ouste, les symptômes durant dix ans.

Pour ma part, les hormones bio-identiques depuis quatre mois ont déplacé les problèmes d’insomnie, de manque d’énergie, de sécheresse, pour les transforme­r en anxiété, nausées, perte d’appétit et reflux. J’ai le choix entre la peste et le choléra. L’hormonothé­rapie est loin d’être une science exacte : chaque femme est unique.

Comme me l’a souligné ma médecin de famille, on se retrouve avec de nouveaux médicament­s pour traiter les effets secondaire­s des premiers. Antidépres­seurs, somnifères et anxiolytiq­ues sont très présents dans la pharmacopé­e de la femme de cinquante balais, quand elle n’est pas carrément référée en psychiatri­e. Nous sommes de bonnes clientes au départemen­t des «folles finies» ou à la SAQ. Si le chardonnay est efficace pour Hillary Clinton, c’est bon pour nous aussi.

En désespoir de cause, je me suis inscrite à des cours de yoga hormonal (si, si, on verra), je me remets aux aiguilles chinoises et j’opte pour la tisane de framboisie­rs; une adepte m’a écrit que c’est ce qui l’a sauvée du naufrage. Pourquoi faire simple quand on est née «compliquée»? Les feuilles mortes se ramassent à la pelle

Se faire traiter de «ménopausée» est une insulte, n’en doutez pas; je me rappelle la réaction outrée de la comédienne Anne Casabonne aux Dieux de la danse encaissant cette pique de Serge Denoncourt qui faisait sûrement de la projection.

En principe, de la glorieuse trentaine nous passons à la splendide quarantain­e, puis à la souveraine cinquantai­ne et à la sereine soixantain­e. C’est sans compter sur le DNBC, le déficit neurobiolo­gique de la cinquantai­ne.

La ménopause se vit dans un linceul de solitude car elle est synonyme de perte de pouvoir. Et les hommes sont pour le moins réticents à en parler avec nous. Les pauvres, il faut que le mystère subsiste. Heureuseme­nt qu’il nous reste la sagesse et les groupes privés sur Facebook.

Pour me «dérider», je lis Une apparition de la journalist­e Sophie Fontanel, une quinqua courageuse qui a décidé de se laisser pousser la raie et de vivre l’arrêt de la teinture en photoréali­té sur Instagram. La Cruella la plus sympa de Paris décrit avec humour la progressio­n de son enneigemen­t capillaire, sans économie d’autodérisi­on, de vérité et de complicité pour le genre féminin sur le «déclin».

Son délicieux récit est un cri de liberté qui va bien au-delà de l’esthétique, une reprise de soi qui nous révèle combien la pression sociale impose aux femmes d’être le miroir du jeunisme ambiant. Celles qui osent arborer une crinière blanche nous narguent en se rendant visibles. «Je le fais pas pour assumer mon âge. Je le fais pas par renoncemen­t à une puissance que serait la jeunesse. […] Je le fais pour apparaître», explique Fontanel. Ainsi soient-elles, bordel.

Luxation du yoni «Que pourraient-ils penser, les autres, de si effrayant? – Que nous ne sommes plus dans la course. – Ah, si ce n’est que ça, ma pauvre, je déteste courir!»

Sophie Fontanel, Une apparition

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 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Quand la souveraine cinquantai­ne se rend visible et nargue notre regard en se dépouillan­t de ses artifices. Cinquante est le nouveau quarante.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Quand la souveraine cinquantai­ne se rend visible et nargue notre regard en se dépouillan­t de ses artifices. Cinquante est le nouveau quarante.
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