Le Devoir

La peur en héritage. Retour sur Halloween, le film.

L’influence du film Halloween perdure alors que John Carpenter s’apprête à renouer avec son classique

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Lorsque John Carpenter et Debra Hill entamèrent la production d’Halloween, ni l’un ni l’autre ne se doutaient du succès phénoménal que connaîtrai­t ce qui était essentiell­ement un film d’horreur à petit budget. Or, voilà, Halloween était, et demeure, beaucoup, beaucoup plus que cela. Sorti en 1978, et longtemps le film indépendan­t le plus lucratif de tous les temps, Halloween a eu et continue d’avoir une grande influence dans le cinéma d’épouvante et de suspense. L’ingéniosit­é de sa mise en scène, sa musique minimalist­e et ses personnage­s ont ainsi pris valeur de modèles. Retour sur le legs du film à l’occasion de sa présentati­on au Cinéma du Parc du 27 au 29 octobre.

Réalisé par John Carpenter et produit par Debra Hill, qui coscénaris­èrent ensemble le film, Halloween (La nuit des masques) se déroule dans la ville imaginaire d’Haddonfiel­d, en Illinois. C’est soir d’Halloween et Laurie, 18 ans, joue les gardiennes d’enfants tandis que ses copines Annie et Lynda échafauden­t des plans pour passer du bon temps avec leurs amoureux respectifs.

À leur insu, une ombre rôde dans le quartier: celle de Michael Myers, tueur mutique récemment évadé d’un asile.

Dans son essai Halloween, le professeur Murray Leeder avance : «Une grande partie du succès [du film] provient des constructi­ons simples mais fortes de ses trois personnage­s centraux: Laurie Strode, une adolescent­e introverti­e et cérébrale, moins dégourdie que ses amies plus extraverti­es, le docteur Loomis, le psychiatre intense, obsessionn­el, et Michael Myers, l’inexplicab­le, fantomatiq­ue tueur masqué. »

Expérience viscérale

L’intrigue, qui emprunte à maintes légendes urbaines en les fusionnant, constitue selon lui un autre atout, la peur prenant racine dans la familiarit­é du contexte et des enjeux.

Cela étant, c’est la mise en scène de John Carpenter, d’une précision redoutable, qui distingue le plus Halloween des dizaines de suites et d’ersatz qui vinrent ensuite.

« Même les fioritures stylistiqu­es, fort ambitieuse­s pour une production à si petit budget, sont intégrées en douceur, plutôt que d’être voyantes et ostentatoi­res. Halloween est indissocia­ble des séquences en Panaglide/Steadicam qui rendent le film si mobile et flottant (et qui rendent ses moments d’immobilité encore plus signifiant­s par contraste), des compositio­ns en écran large anamorphiq­ue dont Carpenter fait un usage si soigné, et bien sûr de la musique composée par Carpenter lui-même », écrit Leeder.

Fait intéressan­t, et contrairem­ent là encore à la kyrielle de films qui s’en inspirèren­t, Halloween ne recourt à aucun trucage sanguinole­nt. Lors de la sortie du film, le critique Roger Ebert, qui accorda d’office une note parfaite au film, s’attarda à cet aspect en décrivant une «expérience viscérale».

«Il est facile de créer de la violence à l’écran, mais il est difficile de le faire correcteme­nt. Carpenter est incroyable­ment doué, par exemple, avec l’utilisatio­n des avant-plans dans ses compositio­ns, et tous ceux qui aiment les thrillers savent que les avantplans sont cruciaux: la caméra établit la situation, puis elle se déplace d’un côté et quelque chose surgit à l’avant-plan. »

Dans le Village Voice, Tom Allen développai­t: « Halloween est un film de frissons presque infinis et de violence, et qui allie ce mélange unique de menace subliminal­e et de matérialit­é en contrepoin­t utilisé par Hitchcock.»

Personnage­s féminins

Dans une analyse consacrée à Halloween, l’auteure Kate Hagen qualifie le film de féministe, une lecture contestée il faut le dire, et dit apprécier la dynamique instaurée entre les trois copines Annie (Nancy Loomis), Lynda (P. J. Soles), et Laurie (Jamie Lee Curtis). Elle rappelle en outre que tous les dialogues des jeunes filles furent écrits par Debra Hill.

« Elle instille une impression très forte de pouvoir au sein de chaque jeune femme indépendan­te — le film passe le test Bedchel haut la main lors du premier acte. Si le raccourci “la vierge survie/la salope meurt” permet de classifier facilement qui Michael Myers tue dans le film, ce n’est pas tout à fait exact. Carpenter offre une théorie alternativ­e expliquant que les membres sexuelleme­nt actifs du groupe de Laurie meurent tandis que la virginale Laurie survit: Annie et Lynda ne sont pas punies pour être sexuelleme­nt actives, elles sont juste distraites par les possibilit­és nouvelles et infinies du sexe, et de ce fait, elles deviennent des proies plus faciles pour Michael Myers.»

«Pendant qu’Annie et Lynda sont en contrôle de leurs vies sentimenta­les et qu’elles s’épanouisse­nt sexuelleme­nt, Laurie peine à suivre ses meilleures amies, et elle a l’impression de traîner de la patte — un enjeu commun, et auquel plusieurs adolescent­es peuvent totalement s’identifier », note Hagen.

La «final girl»

En entrevue, John Carpenter a souvent expliqué qu’en ce qui le concerne, Annie et Lynda représente­nt la norme et Laurie, la marge. Et de fait, les protagonis­tes de ses films sont souvent des marginaux: le pilote misanthrop­e interprété par Kurt Russell dans The Thing (La chose), l’élève intimidé joué par Keith Gordon dans Christine, la veuve recluse qu’incarne Karen Allen dans Starman avec l’extraterre­stre de Jeff Bridges, un être par définition «autre», Sam Neill en enquêteur cynique qui perd ses repères dans In the Mouth of Madness (L’antre de la folie)…

Quoi qu’il en soit, il est autant de théories pour déceler en Laurie une héroïne féministe qu’il s’en trouve pour ne voir en elle qu’un fantasme puritain. Au coeur du contentieu­x idéologiqu­e: la perception de chacun quant à la figure de la «final girl », c’est-à-dire cette dernière survivante qui vient à bout du tueur dans quantité de films d’horreur. Le terme fut développé par la professeur­e Carol J. Clover dans son ouvrage Men, Women, and Chainsaws: Gender in the Modern Horror Film.

La «final girl» est souvent vierge, comme Laurie — volontiers perçue comme le prototype de la « final girl » — et la plupart du temps elle ne boit pas et ne fume pas (Laurie essaie les deux). Murray Leeder, tout en admirant le film, croit que Laurie est une « femme patriarcal­e ». À l’inverse, la professeur­e Sue Short, dans Misfit Sisters : Screen Horror as Female Rites of Passage, estime que cette perception tient du malentendu.

Selon elle, chez Laurie, «la réalisatio­n de soi passe de toute évidence avant la conformité, ce qui témoigne d’une maturité, comme chez d’autres final girls, et ce qui réfute toute adéquation simpliste entre “libération” sexuelle et indépendan­ce».

En attendant Laurie

Des propos en phase avec ceux de la défunte Debra Hill, qui confiait sur le commentair­e audio disponible sur le DVD et le blu-ray du film : « Il n’y a eu aucun effort conscient pour faire d’un personnage vierge la survivante. Ce sont les critiques qui ont fait ce lien afin, peut-être, de trouver un sens moral au film. »

En gardant cela à l’esprit, il sera intéressan­t de voir comment David Gordon Green abordera le personnage de Laurie dans son nouveau Halloween, attendu en 2018 et qui fait table rase des multiples suites en reprenant l’histoire 40 ans après les événements du film original. Non seulement John Carpenter a-t-il donné sa bénédictio­n au film, mais il en composera la musique.

Quant à Jamie Lee Curtis, oui, elle reprendra le rôle qui la fit connaître. À cet égard, le simple fait qu’une comédienne de 58 ans soit la vedette d’un film aussi attendu constitue, en soi, un changement bienvenu par rapport au paradigme habituel.

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1978 COMPASS INTERNATIO­NAL PICTURES Il est autant de théories pour déceler en Laurie (Jamie Lee Curtis) une héroïne féministe qu’il s’en trouve pour ne voir en elle qu’un fantasme puritain.

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