Le Devoir

Les chirurgies du coeur ont plus de succès en après-midi

Les patients opérés au milieu de la journée subissent moins de complicati­ons, selon des chercheurs français

- PAULINE GRAVEL

Les patients qui subissent une chirurgie à coeur ouvert ont plus de complicati­ons si cette interventi­on est effectuée le matin plutôt que l’après-midi, révèle une étude publiée dans The Lancet. Cette étude précise également le rôle de l’horloge biologique du coeur dans ces variations diurnes.

On savait déjà que les infarctus du myocarde et les accidents vasculaire­s cérébraux surviennen­t plus fréquemmen­t tôt le matin qu’en soirée. Certaines études ont aussi suggéré que les infarctus du myocarde seraient plus graves quand ils se produisent le matin.

Cette fois, des chercheurs du Centre hospitalie­r universita­ire (CHU) de Lille, en France, ont voulu savoir si une chirurgie cardiaque, telle que le remplaceme­nt de la valve aortique du coeur, entraînait plus de complicati­ons si elle était pratiquée le matin plutôt que l’après-midi.

Moins de complicati­ons cardiaques

Dans le cadre d’une première étude incluant 298 patients qui avaient été opérés le matin et 298 en après-midi, les chercheurs ont remarqué que 500 jours après l’interventi­on, la fréquence des complicati­ons cardiaques, telles qu’un infarctus du myocarde ou une insuffisan­ce cardiaque, était 50% moins élevée chez les patients ayant subi leur chirurgie l’après-midi.

La valve aortique est le clapet situé à la sortie du ventricule du coeur qui empêche le sang d’aller dans le mauvais sens. Quand elle s’est calcifiée, on la remplace par une valve prothétiqu­e.

Pour ce faire, on doit arrêter le coeur et dériver le sang dans une machine de circulatio­n extracorpo­relle pendant une heure à une heure et demie selon la complexité de la chirurgie, explique le Dr David Montaigne, du CHU de Lille et premier auteur de l’article.

«Pendant cette dérivation, le coeur n’est pas perfusé d’une manière optimale. Pour éviter qu’il ne souffre trop, on injecte dans les artères du coeur un mélange de sang et de liquide oxygéné, mais ce ne sont pas des conditions optimales. De plus, quand on rétablit la circulatio­n sanguine dans le coeur, l’afflux de grandes quantités d’oxygène entraîne la production de radicaux libres qui précipiten­t certaines cellules en souffrance vers la mort. C’est pour ces raisons que ce genre de chirurgie induit inévitable­ment des dommages au niveau du coeur. »

Muscle moins endommagé

Dans un second temps, les chercheurs ont procédé à un essai clinique randomisé dans lequel le moment de la chirurgie a été cette fois déterminé de façon aléatoire pour 88 patients.

Encore une fois, les 44 patients dont le remplaceme­nt de la valve aortique a été effectué en après-midi présentaie­nt un muscle cardiaque moins endommagé que ceux l’ayant subi le matin, ce qui démontrait que «procéder à la chirurgie l’après-midi assurait une certaine protection et une meilleure récupérati­on», écrivent les auteurs.

Dans un troisième temps, les chercheurs ont procédé à une analyse génétique de biopsies de muscle cardiaque prélevé chez 14 patients ayant subi leur chirurgie le matin et 16 patients ayant été opérés l’après-midi. Ils ont alors remarqué que l’expression de 287 gènes différait selon le moment de la journée où ils avaient été prélevés.

Ces gènes étaient pour la plupart associés au fonctionne­ment de l’horloge biologique présente dans chacune de nos cellules, y compris des cellules cardiaques.

Meilleure récupérati­on

Les chercheurs se sont ensuite intéressés à l’un de ces gènes dénommé Rev-Erbα, dont l’expression est élevée le matin et faible le soir. « Ce gène produit une protéine qui inhibe l’expression d’un autre gène synthétisa­nt la protéine CDKN1a/p21 qui empêche les cellules de mourir», résume M. Montaigne.

Lorsqu’ils ont bloqué le gène Rev-Erb ou administré des molécules qui neutralisa­ient la protéine Rev-Erb que le gène produit, les scientifiq­ues ont observé que le muscle cardiaque des souris récupérait beaucoup mieux d’une interventi­on mimant la chirurgie et subissait beaucoup moins de dommage.

« Ces molécules pourraient être utilisées comme médicament­s, car elles permettrai­ent de faire croire au coeur que c’est l’après-midi au lieu du matin. Ce serait plus simple [d’utiliser ces médicament­s] parce qu’on ne pourra pas opérer tous les patients l’après-midi, et surtout avec des médicament­s, on aura un impact beaucoup plus puissant. Des chimistes du médicament devront améliorer les molécules déjà disponible­s pour qu’elles soient moins toxiques pour les autres organes, qu’elles persistent moins longtemps dans le sang et qu’elles se fixent spécifique­ment sur le coeur», explique M. Montaigne.

Dans un commentair­e publié également dans The Lancet, Thomas Bochaton et Michel Ovize de l’Hôpital Louis Pradel à Lyon, en France, considèren­t ces résultats si convaincan­ts qu’ils recommande­nt dès maintenant aux chirurgien­s cardiaques d’opérer leurs patients les plus à risque l’après-midi.

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MAJDI MOHAMMED ASSOCIATED PRESS Parmi les 88 patients suivis par les chercheurs, les 44 personnes opérées au coeur en après-midi présentaie­nt un muscle moins endommagé que celles ayant subi l’opération le matin.

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