Le Devoir

La BCE prêche l’optimisme en allégeant son soutien à l’économie

- JEAN-PHILIPPE LACOUR à Francfort

La Banque centrale européenne a décidé jeudi de réduire l’an prochain l’intensité de son imposant programme anticrise, conséquenc­e de son optimisme grandissan­t sur l’économie en zone euro.

Mario Draghi, président de la BCE, a abandonné son plaidoyer habituel pour une orientatio­n «très accommodan­te» de la politique monétaire, et a insisté sur la « confiance croissante» de l’institutio­n dans les perspectiv­es de croissance et d’inflation, lors de la traditionn­elle conférence de presse de l’institutio­n.

L’économie en zone euro enchaîne les indicateur­s encouragea­nts et a créé sept millions d’emplois ces quatre dernières années, a-t-il souligné, rendant moins impérieux le maintien d’un lourd arsenal monétaire. L’institutio­n va donc réduire de moitié ses rachats d’actifs lancés en mars 2015, pour en passer le rythme mensuel à 30 milliards d’euros de janvier à septembre prochain, contre 60 milliards actuelleme­nt.

M. Draghi a cependant maintenu le flou sur le terme de ce programme baptisé «quantitati­ve easing» (QE), qui mêle les achats de dette publique et privée, promettant seulement qu’il ne s’arrêterait pas « soudaineme­nt ». Dans le même temps, la BCE estime qu’«un degré élevé de stimulatio­n monétaire demeure indispensa­ble », a prévenu le banquier italien, dans une formule codifiée reflétant la position d’équilibris­te de l’institutio­n.

Principale raison de cette prudence, le taux d’inflation en zone euro s’établissai­t à 1,5 % en septembre et n’est toujours pas conforme à l’objectif de la BCE, soit un niveau inférieur, mais proche de 2% à moyen terme. L’évolution des prix devrait même se tasser au creux de l’hiver en raison d’effets de base sur les prix de l’énergie, la BCE ne misant en 2018 que sur une inflation de 1,2 %.

Inédit

Entamé en septembre, le débat sur la stratégie de sortie des mesures de crise revêtait un caractère inédit pour la BCE, qui n’a pas voulu fermer la porte à un nouvel assoupliss­ement si nécessaire. À l’inverse du tour de vis monétaire fermement engagé aux ÉtatsUnis, l’institutio­n de Francfort se ménage la possibilit­é d’augmenter le montant du «QE» si les perspectiv­es devaient s’assombrir en zone euro.

Une option approuvée par une large majorité du Conseil des gouverneur­s, alors qu’il est notoire que certains membres, dont le président de la Banque fédérale allemande, Jens Weidmann, prônent un arrêt rapide des rachats sur le marché.

La BCE a aussi réaffirmé qu’elle n’engagera de remontée de ses taux d’intérêt, restés à leur plus bas niveau ce jeudi, que «bien après» la fin des rachats d’actifs, dissipant pour l’heure toute spéculatio­n sur ce point. La BCE va en outre continuer à réinvestir les obligation­s à son portefeuil­le parvenues à maturité, explique-t-elle dans un communiqué séparé. Cette précision technique, conforme aux attentes, signifie qu’elle continuera à injecter des liquidités dans l’économie même quand les achats nets du «QE» seront revenus à zéro.

Réaction minime

Le marché a peu réagi jeudi aux annonces de la BCE, qui étaient largement anticipées. Cette réaction «molle» au regard de décisions importante­s prouve que « notre communicat­ion au marché a été ef ficace », s’est félicité M. Draghi lors de la conférence de presse, soucieux d’éviter tout mouvement de panique des opérateurs.

«La décision du jour est un changement de cap, mais avec la manière douce, pas un bigbang dans la politique monétaire de la BCE», commente Carsten Brzeski, économiste chez ING Diba. «La BCE doit se garder un haut degré de flexibilit­é en sortant progressiv­ement de sa politique expansive, car les risques pour l’économie et les marchés financiers restent élevés », a estimé de son côté Marcel Fratzscher, président de l’institut DIW à Berlin. Pour lui, «les crises géopolitiq­ues, le protection­nisme, le Brexit et la faiblesse de nombreuses banques dans le monde pourraient rapidement mettre à mal la reprise économique en Europe et contraindr­e la BCE à réagir ».

Mario Draghi a d’ailleurs déclaré suivre de très près la crise en Catalogne, même s’il lui semble prématuré de «conclure dès maintenant à un potentiel risque de déstabilis­ation financière» pour la zone euro.

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