Le Devoir

L’insoutenab­le contradict­ion propre aux religions

- DENIS PROULX Professeur associé à l’ENAP

La discussion sur les accommodem­ents religieux se heurte toujours à la nature des religions. Elle peut être analysée selon différents niveaux. Au premier plan, on trouve un idéal spirituel, qui varie selon chaque religion. Après la vie, monter au ciel et rencontrer Dieu pour les religions monothéist­es, se réincarner dans une meilleure vie ou se réaliser dans les religions qui n’ont pas de Dieu (bouddhisme) ou qui en ont des millions (hindouisme), on a là des exemples qui illustrent la très grande variété de l’idéal spirituel.

Ensuite, toutes les religions proposent une série de règles qui permettent l’atteinte de cet idéal spirituel. Prier, méditer, mener une bonne vie, avec des règles qui sont généraleme­nt calquées sur les besoins de la vie en société, ne pas tuer, ne pas convoiter les biens des autres, aimer son prochain ou lui rendre ses mauvais coups, et ainsi de suite. Jusque-là, ces approches ne comportent aucune contradict­ion, dans la mesure où elles sont liées à un modèle spirituel. Les religions, par leur recherche spirituell­e et le respect de ces règles, offrent un réconfort à ceux qui les pratiquent, en ce qu’elles peuvent permettre de réduire la peur face à l’Inconnu.

Au troisième plan, les religions proposent d’autres règles qui visent essentiell­ement à contrôler la société, avec une perspectiv­e très temporelle calquée sur les traditions ethnologiq­ues de la société d’où proviennen­t le prophète ou les textes de référence s’il y en a. Ainsi, le judaïsme est basé sur le concept d’un peuple choisi par Dieu, ce qui limite le prosélytis­me; le christiani­sme est basé sur les idées d’un prophète juif dont les idées déviaient de la religion juive, mais dont les évangiles ont été écrits par des Européens; l’islam est basé sur les idées d’un prophète arabe, influencé par les autres religions monothéist­es ; le bouddhisme par un prophète indien en rupture avec l’hindouisme dominant. Les religions animistes sont directemen­t

«Tout notre dilemme comme société vient de ce que nous voulons respecter les religions alors que la nature de ces » dernières, dans sa dimension humaine et non spirituell­e, n’est pas naturellem­ent de respecter les autres religions

liées aux phénomènes naturels incompris et en conséquenc­e perçus comme divins.

Économie et religion

Les religions comportent donc une dimension culturelle marquée géographiq­uement, historique­ment et ethnologiq­uement, basée sur des règles de maintien du groupe et de dénigremen­t des groupes concurrent­s. La haine des catholique­s envers les hérétiques albigeois, des protestant­s envers les catholique­s, des sunnites envers les chiites, des hindous envers les bouddhiste­s, la haine entre chrétiens et musulmans ou celle envers les bahaïs illustrent comment les religions comme organisati­ons humaines ont protégé leurs parts de marché, l’idéal spirituel semblant lointain dans ces combats. Il peut paraître scandaleux de décrire des organisati­ons religieuse­s avec des termes de gestion, mais l’émergence des religions protestant­es dans le sud des États-Unis et en Amérique latine est directemen­t liée à l’initiative mercantile de ses pasteurs. Jadis, à Atlanta, lors d’une rencontre avec un centre d’initiative économique, la responsabl­e racontait comment on pouvait se lancer en affaires en donnant l’exemple d’une église. « Si vous voulez démarrer votre église, il faut faire du marketing pour attirer les fidèles, des finances pour avoir leur argent et gérer le bâtiment, c’est une business !»

Tout notre dilemme comme société vient de ce que nous voulons respecter les religions alors que la nature de ces dernières, dans sa dimension humaine et non spirituell­e, n’est pas naturellem­ent de respecter les autres religions. De plus, les aspects traditionn­els de la société, comme la domination des hommes sur les femmes, typique de presque toutes les sociétés d’autrefois, sont un marqueur dominant des religions qui ne sont pas du tout modernes à cet égard. L’Église chrétienne a aboli la prêtrise des femmes au IVe siècle et n’arrive toujours pas à corriger son erreur. Le voile des femmes ainsi que les vêtements qu’on leur impose n’ont pas d’équivalent chez les hommes, qui ne s’habillent plus comme au Xe siècle, époque où en Occident les femmes devaient elles aussi toujours porter un voile. Les financemen­ts saoudiens de l’islam correspond­ent plus à un maintien de modèles moyenâgeux de comporteme­nts qu’à un idéal spirituel qui n’a rien à voir avec des symboles vestimenta­ires.

Il est fondamenta­l de respecter la dimension spirituell­e des gens qui pratiquent des religions, tout comme celle des athées, mais comment pourrions-nous accepter leurs écarts liés à des valeurs sociales archaïques? Le fait de confondre ces deux dimensions comporte une contradict­ion difficilem­ent soluble, tant que l’on confondra la spirituali­té et les règles de contrôle social qui sont bien humaines et pas du tout spirituell­es. Il est clair cependant que les tenants de ces modèles de comporteme­nts croient sincèremen­t que leur religion est un tout, où spirituali­té et archaïsme se confondent. Nous posons la question : la poursuite de règles de comporteme­nts contraires aux règles de la société d’accueil est-elle acceptable au nom du droit à pratiquer une religion quand certaines dimensions d’identité à des valeurs moyenâgeus­es non spirituell­es y sont incompatib­les? Il est clair que les extrémiste­s musulmans (talibans ou groupe État islamique) ne semblent pas intéressés par la spirituali­té, mais bien par un contrôle social moyenâgeux sur la société. Le respect des religions n’a pas grand-chose à faire avec ces considérat­ions passéistes.

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