Le Devoir

La braderie de la CSeries de Bombardier

- PIERRE-ANDRÉ JULIEN Économiste, professeur émérite Institut de recherche sur les PME

Dès son annonce, la vente de la CSeries de Bombardier aéronautiq­ue à Airbus est apparue à peu près chez tous les analystes et les observateu­rs comme une bonne nouvelle, et même comme un coup fumant. Elle permettait, d’une part, de multiplier rapidement les ventes de ce nouvel avion sur les marchés en dehors des États-Unis et, d’autre part, de donner le temps à l’entreprise de gagner devant l’Organisati­on mondiale du commerce contre les droits extravagan­ts réclamés par Boeing du fait d’un prix de vente trop bas à Delta Airlines, son premier gros client.

Tout cela reposait sur l’idée d’une alliance avec le géant européen, alliance où tous les partenaire­s normalemen­t gagnent. Comme il en existe un peu partout, notamment dans le domaine pharmaceut­ique pour les petites entreprise­s qui sont à peu près les seules à faire de la véritable recherche sur des nouveaux médicament­s, mais qui, une fois les résultats obtenus, se heurtent à l’obligation d’envahir rapidement les marchés en attendant qu’une autre PME trouve mieux. Sachant que, dans ce cas, il arrive très souvent que la multinatio­nale préfère ou finisse par acheter, et à ce moment à fort prix, la petite entreprise, compensant ainsi tout le travail effectué et les importants coûts de cette recherche.

Mais la vérité a fini par sortir du chapeau, soit que finalement Bombardier venait tout simplement de donner l’entreprise en espérant que la multiplica­tion des ventes fera remonter l’action et permettra aux actionnair­es, dont le gouverneme­nt du Québec, qui a investi plus d’un milliard de nos sous dans l’aventure, de se rembourser en partie. Puisque, avec le contrôle de l’entreprise (50,01% des actions), il est évident que le grand gagnant est ici Airbus. Et comprenons bien que non seulement cette firme acquiert en même temps une toute nouvelle technologi­e ayant coûté 5,4 milliards, mais aussi la promesse que Bombardier investira plus de 700 millions dans les prochaines années pour améliorer encore plus cette technologi­e sans que Airbus mette un sou.

D’autres fleurons québécois

Cela ressemble étrangemen­t aux ventes d’autres fleurons québécois des dernières années, tels Provigo passé à Loblaws, qui dès la troisième année a commencé à multiplier ses approvisio­nnements hors Québec malgré toutes les promesses faites. Et il en sera de même avec la vente des Rôtisserie­s St-Hubert et de Rona, dont les produits américains et de la Colombie-Britanniqu­e sont déjà sur les tablettes en remplaceme­nt de ceux de nos fabricants.

Le pire est que le premier ministre Couillard et sa collègue Dominique Anglade essaient de nous faire croire avec cette transactio­n que le Québec conservera le plein contrôle des résultats du génie québécois, que personne du grand centre de recherche d’Airbus à Toulouse ne viendra observer systématiq­uement ce qui se fait dans Saint-Laurent et à Mirabel et qu’aucun ingénieur d’ici ne devra déménager dans cette ville. De même, ils nous promettent que la chaîne de montage d’Airbus en Alabama pour les ventes aux États-Unis se limitera aux besoins de Delta et d’autres compagnies aériennes américaine­s, sans toucher aux autres clients internatio­naux comme le Mexique. La preuve que ces promesses ne seront pas tenues est la clause du contrat entre Bombardier et Airbus permettant à cette dernière de prendre le contrôle total de la CSeries en 2024.

Encore une fois, si Airbus avait payé sa part de la transactio­n, cela aurait contenté les analystes et les observateu­rs. Mais ce n’est pas le cas, et la supposée capacité économique de notre gouverneme­nt continue encore une fois à prendre l’eau, alourdie par le kérosène des avions de Bombardier. Pourrait-on penser, avec toutes ces ventes, qu’il est tout simplement en train de laisser tomber le contrôle de l’économie par les Québécois pour se conformer aux diktats du capitalism­e mondial ?

 ?? GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE ?? Le président et directeur général de Bombardier, Alain Bellemare, entouré du chef exécutif d’Airbus, Tom Enders, du premier ministre Philippe Couillard et de la ministre de l’Économie, Dominique Anglade
GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Le président et directeur général de Bombardier, Alain Bellemare, entouré du chef exécutif d’Airbus, Tom Enders, du premier ministre Philippe Couillard et de la ministre de l’Économie, Dominique Anglade

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