Le Devoir

Human Flow, d’Ai Weiwei: un portrait de grande amplitude

- ANDRÉ LAVOIE

HUMAN FLOW ★★★

Documentai­re d’Ai Weiwei. États-Unis, 2017, 140 minutes.

Est-ce ironique ou trop attendriss­ant pour céder à la tentation de l’inclure dans un documentai­re au ton à la fois solennel et humaniste? Toujours est-il que le seul départ vers un ailleurs meilleur qu’observe Ai Weiwei, le célèbre artiste et dissident chinois, dans Human Flow est celui d’un… tigre. Vivant dans des conditions déplorable­s en Palestine — comme s’il était le seul… —, le voilà qui prend la route pour l’Afrique du Sud, là où l’attend un environnem­ent nettement plus douillet pour un animal en cage.

Le court épisode contraste avec l’ensemble des pérégrinat­ions effectuées par Ai Weiwei d’un bout à l’autre de la planète. Car il ne fait pas qu’obser ver ce flot humain du haut des airs ou sur les rives de la Méditerran­ée. Du Bangladesh à la Grèce, de l’Italie à l’Irak, de la Serbie aux États-Unis en passant par le Kenya, tous ces lieux où l’on retrouve un mur de barbelés, un camp de réfugiés, une marée humaine ou des ruelles crasseuses sont sous sa loupe.

C’est en quelque sorte un portrait de grande amplitude qu’il nous propose, véritable épopée du tragique temps présent, celui d’un monde à la fois mondialisé et refermé sur luimême, qui érige plus de frontières protégées qu’au temps de la guerre froide. Et la guerre n’est jamais froide ou désincarné­e pour ces millions de réfugiés syriens, afghans, somaliens ou irakiens qui préfèrent mourir en pleine mer ou sur la route plutôt que de voir les bombes tomber sur eux. Ce gigantesqu­e chaos est expliqué de façon succincte par une série de manchettes puisées dans la presse internatio­nale, où le cinéaste intercale çà et là quelques réflexions tirées de l’oeuvre de poètes… ou des rapports d’agences onusiennes.

Militant plus que documentar­iste, et célèbre de surcroît, Ai Weiwei peut s’offrir ce grand voyage au pays de la misère. Il a ainsi pu compter sur une douzaine de chefs opérateurs, dont l’illustre Christophe­r Doyle (un habitué du cinéma de Wong Kar-wai), et autant de drones pour survoler des camps d’une blancheur immaculée en Turquie, et les paysages verdoyants du Bangladesh, là où la minorité musulmane des Rohingyas du Myanmar a trouvé refuge.

Les immenses qualités artistique­s de Human Flow constituen­t aussi certaines de ses failles. Ce vaste panorama donne une idée juste de l’ampleur du phénomène, le captant comme aucun journalist­e de télévision ne pourrait le faire avec ses propres moyens techniques. Ceux d’Ai Weiwei sont considérab­les, multiplian­t les rencontres, certaines touchantes, d’autres éphémères, le plus souvent expéditive­s. L’artiste, que l’on voit aussi en train de filmer avec son téléphone, essaie d’éviter la tentation du one man show, mais il n’y parvient pas toujours. Peut-être aussi qu’un montage plus serré et une ligne narrative mieux définie — même les réfugiés ne sont pas tous égaux sur la scène internatio­nale, et la question n’est qu’effleurée — auraient donné à Human Flow une amplitude intellectu­elle et politique qui lui fait parfois défaut.

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ENTRACT FILMS Dadaab, au Kenya, le plus grand camp de réfugiés au monde

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