Le Devoir

La voix toujours actuelle d’un héritage millénaire

Le 14e Festival intercultu­rel du conte de Montréal présente deux événements autochtone­s à la Grande Bibliothèq­ue

- ANDRÉANNE CHEVALIER

«On

ne se rend pas compte que les autochtone­s ont une mythologie millénaire. On connaît plus les mythes grecs […]. Je pense qu’il y a vraiment un travail à faire. Les contes autochtone­s » ne sont pas que du folklore. Stéphanie Bénéteau, directrice artistique du Festival intercultu­rel du conte de Montréal

Le Festival intercultu­rel du conte de Montréal présente samedi, en collaborat­ion avec BAnQ, deux événements de son volet autochtone. D’abord, en après-midi, une causerie sur le thème du conte autochtone aujourd’hui, puis, en soirée, un spectacle de contes et de musique explorant, entre autres, l’idée d’un dialogue entre les peuples et la richesse culturelle autochtone.

Joséphine Bacon, poète innue, n’a pas connu les contes de sa nation lorsqu’elle était jeune. C’est qu’au pensionnat où elle a vécu entre l’âge de 5 ans et 19 ans, les religieuse­s racontaien­t plutôt les histoires de Cendrillon, de BlancheNei­ge et du Chaperon rouge, confie-t-elle dans une entrevue téléphoniq­ue au Devoir.

La différence entre les contes « blancs » et les contes autochtone­s est immense, poursuit la femme de 70 ans. «Dans les contes occidentau­x, il y a toujours une pauvre jeune fille qui est comme “rejet” et qui finit par marier le beau prince et ils ont beaucoup d’enfants. Tandis que les contes innus montrent comment apprendre à vivre avec la terre, avec les animaux, avec toute la nature. Les enfants apprenaien­t la vie à travers les contes.»

Ce n’est qu’au début de la vingtaine, en travaillan­t avec des anthropolo­gues qui recueillai­ent des histoires de vie, des récits anciens et des contes dans les communauté­s autochtone­s, qu’elle a réellement pris contact avec cet héritage. «La première personne qui m’a raconté les atanukan [terme innu désignant les récits fondateurs], vous allez rire, c’est Rémi Savard. C’est un anthropolo­gue qui a travaillé beaucoup chez les Innus de La Romaine et de Saint-Augustin. Rémi me racontait Carcajou [Kuekuatshe­u], expose-t-elle, un rire dans la voix. Comme je traduisais ces contes, je les ai appris.»

Traditionn­ellement racontés aux enfants le soir venu, «quand tout était calme», les atanukan ser vent de « leçons ». Mais « c’est tellement le fun, affirme Mme Bacon. C’est grâce aux animaux que les vieux racontaien­t qu’on apprenait à quoi faire attention. C’est peutêtre comme aller à l’école, mais d’une façon plus comique que d’apprendre le participe passé en français!»

La légende Les oiseaux d’été, par exemple, explique l’ère

glaciaire. «Il y a eu un moment où c’était toujours l’hiver. Un jour, un petit garçon était tellement triste après le départ de son grand-père que la seule façon de le consoler, c’était de chasser les oiseaux d’été. Mais, comme c’était toujours l’hiver, il a fallu qu’il aille voler des étés. C’est depuis ce temps-là que, tour à tour, c’est l’été, puis l’hiver.» Racontés en autant de versions qu’il y a de conteurs, les atanukan peuvent être « très longs ». « Au minimum une heure, précise la poète. Selon le conteur, ça peut être plus.»

Et ils sont reconnaiss­ables instantané­ment.

«Quand j’allais enregistre­r les vieux avec Sylvie [Vincent, anthropolo­gue], je le savais: aussitôt qu’ils prenaient un ton spécial, c’était parce qu’ils racontaien­t une légende ou un mythe. Ils ne prenaient pas le même beat .» Le fait que les contes autochtone­s soient une tradition orale explique qu’ils soient peu connus des Québécois, selon elle. Un dialogue

Dans le spectacle nommé Territoire­s: paroles autochtone­s en partage, présenté à la Grande Bibliothèq­ue samedi soir, Mme Bacon interagira d’abord avec son amie Chloé Sainte-Marie. «Chloé me demande: “Est-ce que ton père était nomade?”

raconte Mme Bacon pour donner un avant-goût du numéro.

Je dis : “Mon grand-père était nomade. C’était un chasseurcu­eilleur. Mon père était bûcheron. Mais, dans ces années-là, les coupes à blanc n’existaient pas, on vivait la forêt. As-tu vu l’Abitibi ? Tout agonise, tout est dénudé, les animaux désertent, les rivières se laissent mourir, les plantes médicinale­s refusent de s’épanouir. Les outardes ne s’attardent plus sur nos lacs.”»

Les deux femmes, qui ont été choisies comme co-porteparol­e de ce 14e Festival intercultu­rel du conte de Montréal, se connaissen­t depuis 35 ans.

Elles revisitero­nt sur la scène de l’auditorium de la Grande Bibliothèq­ue leur Dialogue entre deux «je», un numéro déjà présenté dans le cadre du spectacle Je sais que tu sais, qui accompagna­it l’album Nitshissen­iten e tshissenit­amin de Chloé Sainte-Marie, paru en 2009.

Cette conversati­on entre deux cultures est très puissante, affirme Stéphanie Bénéteau, directrice artistique du festival. «Ça parle d’appropriat­ion, d’injustice, de racisme, mais aussi de la parole québécoise, du fait français en Amérique, de la présence de la culture de Chloé et de la culture de Joséphine, et de la façon dont les deux peuvent coexister et trouver un moyen d’être en paix ensemble. »

Le spectacle se poursuivra avec Charles-Api Bellefleur, un Innu de La Romaine « porteur de tradition», et le musicien et conteur Robert Seven Crows Bourdon, Micmac et Acadien.

Le public est aussi convié à en apprendre plus sur les contes autochtone­s (et au sens large) samedi après-midi, au cours d’une causerie animée par le professeur Christian-Marie Pons, à laquelle participer­ont Joséphine Bacon et Seven Crows Bourdon.

Outre la question de savoir si le conte a encore sa place en 2017, la discussion portera sur la spécificit­é du conte autochtone. « [Ces contes nous permettent d’avoir] un regard nouveau sur la nature, l’environnem­ent, les rapports entre les gens, le pouvoir, l’amour, la sexualité. Il est très intéressan­t de confronter nos visions du monde à la vision du monde des contes autochtone­s », expose Mme Bénéteau.

Causerie : Des origines à la transmissi­on : le conte autochtone aujourd’hui, samedi à 13h30.

Spectacle : Territoire­s : paroles autochtone­s en partage, samedi, 19 h.

À l’auditorium de la Grande Bibliothèq­ue. Gratuit.

festival-conte.qc.ca/2017

 ?? CHRISTIANE OLIVIER ?? Chloé Sainte-Marie et Joséphine Bacon, co-porte-parole de la 14e édition du festival, revisitero­nt sur la scène de l’auditorium de la Grande Bibliothèq­ue leur Dialogue entre deux «je», un numéro déjà présenté dans le cadre du spectacle Je sais que tu...
CHRISTIANE OLIVIER Chloé Sainte-Marie et Joséphine Bacon, co-porte-parole de la 14e édition du festival, revisitero­nt sur la scène de l’auditorium de la Grande Bibliothèq­ue leur Dialogue entre deux «je», un numéro déjà présenté dans le cadre du spectacle Je sais que tu...

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