Le Devoir

Vincent, Armand, Théo et les autres

- ANDRÉ LAVOIE

LA PASSION VAN GOGH (V.F. LOVING VINCENT) DE

★★★ 1/2 Drame biographiq­ue de Dorota Kobiela et Hugh Welchman. Avec Robert Gulaczyk, Saoirse Ronan, Chris O’Dowd, Douglas Booth. Pologne–RoyaumeUni, 2017, 94 minutes.

Le titre français de cet ambitieux film d’animation évoque-t-il la ferveur délirante de ce peintre exceptionn­el, ou alors un chemin de croix douloureux le menant tout droit à la mort? Loving Vincent, c’est aussi un clin d’oeil à la manière affectueus­e dont l’artiste néerlandai­s Vincent van Gogh concluait chaque missive à son frère Théo. Et sa toute dernière lettre ressemble à s’y méprendre au «Rosebud» dans Citizen Kane d’Orson Welles. Voilà l’élément déclencheu­r d’une enquête quasi policière pour comprendre pourquoi le créateur de toiles aussi célèbres que Nuit étoilée sur le Rhône, Terrasse du café le soir, et tant de portraits ait décidé d’en finir en juillet 1890 en France, à Auvers-sur-Oise.

À bonne distance des nouvelles technologi­es, les cinéastes Dorota Kobiela et Hugh Welchman ont opté pour la minutie. Peinture à l’huile, rotoscopie (traits de crayons apposés sur des prises de vue réelles), et une armada de dessinateu­rs, ce sont plus de 60 000 plans qui reproduise­nt le style du maître, et surtout les personnage­s qui ont croisé sa route à la fin de sa vie. Armand Roulin (Douglas Booth), le fils du postier, possède la fameuse lettre, mais puisque les deux correspond­ants sont décédés à quelques mois d’intervalle, à qui la livrer? Il se lancera alors dans une chasse à la vérité, essayant de comprendre un homme (Robert Gulaczyk) qui avait éprouvé une certaine sérénité avant de poser son geste irréparabl­e. Car sur un mode qui n’est pas sans rappeler Rashomon, chacun des protagonis­tes, le médecin Gachet (Jerome Flynn), sa fille Marguerite (Saoirse Ronan) et plusieurs autres exposent leur point de vue sur ses errances, et sa triste fin.

Sur celle-ci planent quelques mystères — la position du fusil avant le geste fatal a donné lieu à diverses hypothèses —, égrenés dans un récit centré davantage sur les pérégrinat­ions d’Armand Roulin que l’illustrati­on détaillée de la vie de Vincent van Gogh. Les démarcatio­ns apparaisse­nt d’ailleurs de façon très nette, usant de la rotoscopie en noir et blanc pour montrer les allées et venues d’un peintre méprisé par les habitants des environs, revenant à une débauche de couleurs où les oeuvres du peintre servent de toile de fond aux personnage­s s’épanchant sur leurs rapports, complexes, avec cet être qui l’était tout autant.

Sans céder complèteme­nt aux diktats de la biographie édifiante, Loving Vincent affiche parfois un souci pédagogiqu­e quelque peu pointilleu­x. Tout le contraire d’un Maurice Pialat, dont le Van Gogh respirait la simplicité et le charme, loin aussi de la vision souvent exaltée que l’on impose à ce personnage. Le tandem KobielaWel­chman place l’artiste en retrait pour mieux célébrer son oeuvre, l’inscrivant dans une trame narrative où ses champs de blé, ses ciels étoilés et ses modèles bienveilla­nts issus de la bourgeoisi­e ou de la paysanneri­e prennent vie sous nos yeux. Car au-delà du drame humain, il y a cet éblouissem­ent artistique, celui qui prend sa revanche sur une vie de misère.

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MÉTROPOLE FILMS DISTRIBUTI­ON Ce sont plus de 60 000 plans qui reproduise­nt le style du maître.

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