Malécites et Inuits: des histoires aux goûts autochtones
Les communautés autochtones, c’est souvent des histoires de relève. Dans le sens où des jeunes reprennent fièrement le flambeau de leurs origines, puisent dedans pour réinventer, créer, assurer une continuité. Mais aussi dans le sens de se remettre sur pied, debout, après avoir connu ou traversé des périodes difficiles.
Dans la famille Lizotte, demandez l’arrièregrand-mère paternelle qui était Malécite. Puis demandez Maxime, fier représentatnt de la quatrième génération qui plonge dans ses origines autochtones découvertes sur le tard. «En fait, c’est comme ça pour plusieurs d’entre nous. Nous sommes la première nation à avoir été chassée du territoire québécois et la dernière à avoir été reconnue [officiellement en 1989] .» La 11e nation.
D’où le fait que certains Québécois se disent qu’eux aussi seraient peut-être d’origine malécite et entreprennent des recherches. Maxime l’a appris en même temps que ses parents. Depuis, il farfouille dans les livres et surtout en ligne. Mais les infos ne courent pas le Web. «Je viens de découvrir une passerelle sur la langue malécite. Elle est en anglais parce qu’il y a plus de Malécites dans le Maine et au Nouveau-Brunswick qu’au Québec.» Maxime fait de la cueillette depuis presque
deux ans. «Je montre même à mon père ! C’est une volonté de réexplorer les plantes sauvages probablement utilisées par mes ancêtres il y a des centaines d’années pour guérir — et non pour leur bon goût, comme on le fait aujourd’hui. » Ce déclic cueillette s’est produit lors de son cursus en cuisine à l’École hôtelière de la capitale. L’un de ses professeurs, le chef Éric Fontaine, emmenait son groupe sur le terrain.
«Peuple de la belle rivière»
Comme la communauté a été historiquement dispersée, les Malécites ne pratiquaient pas l’agriculture. Ils étaient nomades, se déplaçaient le long des cours d’eau (d’où ce joli nom de «peuple de la belle rivière»), pêchaient, chassaient, cueillaient. Le fumage des poissons était assez intense, aux fins de conservation et non pour la recherche du bon goût comme maintenant.
Quand on est un jeune gars de la ville, garde-manger et pâtissier dans un chic restaurant à Québec, trouver le temps pour pêcher, chasser et cueillir des plantes reste problématique. À moins de lancer une petite affaire. « Lorsque j’ai pensé à créer Origine boréale (origineboreale.ca), j’ai contacté Maxime. Je savais qu’il s’intéressait aux saveurs nordiques. Il a embarqué dans le projet
et on a lancé la compagnie à deux », raconte Bryan Gélinas, qui se consacre à temps plein au développement des produits (confitures de pommes au nard des pinèdes, sel aux pousses de conifères, etc.) lancés fin 2016, tandis que Maxime s’occupe des recettes et des nouveautés à venir. Une façon pour lui de se reconnecter.
Ils cueillent, font sécher sur place, un bateau apporte la récolte à Montréal et ils reçoivent en contrepartie un salaire décent. La gamme de tisanes inuites Délice boréal (deliceboreal.com) mise en place dans les années 2000 par l’Institut culturel Avataq, à travers sa filiale (Avataq inc.), devrait porter le seau équitable.
Il n’en est rien, faute notamment de volumes de production trop minces et surtout de coûts trop élevés qu’engendrerait une telle certification. Dommage, car lorsque vous humez et sentez en bouche les cinq variétés de plantes qui entrent dans la composition* de cette gamme de mélanges (thé du Labrador, petit thé du Labrador, genévrier commun, feuilles de camarine noire et de ronce petit-mûrier), ce sont des villageois de Kangiqsualujjuaq, au Nunavik, qui les ont ramassées de la mi-juillet à août.
Les petits fruits
Jeannie Oh, la coordinatrice de ce projet commercial, me montre des photos dudit village encerclé de toundra et couronné d’un léger renflement vallonné. Magnifique. Ça l’est moins lorsqu’elle me raconte les conditions de la cueillette, qui dure de six à huit semaines: le corps plié en quatre toute la journée, le soleil qui peut taper très fort, les nuées de moustiques et de mouches noires qui s’acharnent sur vous.
D’où l’importance d’aller au-delà du produit, de connaître sa vraie histoire. À l’Institut culturel Avataq, dont la mission est de préserver et de promouvoir la culture et la langue des Inuits, on vous raconte tout cela : d’où ça vient, comment c’est cueilli, par qui et pourquoi ce produit unique coûte plus cher, seul et fier représentant inuit ensaché.
Le problème pour cet OBNL, qui dépend principalement des subventions pour mener à bien ses mandats, est de convaincre les distributeurs ou acheteurs de la portée hautement culturelle de ce produit. De graves difficultés financières l’ont d’ailleurs contraint à un moment donné à stopper le projet de tisanes, puis à le relancer en 2015. «Lorsque c’est la saison des petits fruits là-bas, c’est un vrai événement. Tu peux tenter de joindre les organisations au Nunavik, mais personne ne répond! Tout le monde est dans la toundra en train de
cueillir. C’est culturel », explique Jeannie Oh. Les petits fruits, comme les bleuets ou les camarines noires, les Inuits les adorent. Ils les consomment frais, en mettent dans des salades, en font des confitures ou des gelées. Ils en ajoutent aussi dans leur mayonnaise à base d’oeufs de poisson et d’huile de phoque, le suvalik, qui accompagne souvent la viande et le poisson crus. Nez et estomac non inuits s’abstenir! Plus qu’intense, paraît-il. C’est pourquoi commencer par la douceur d’une tisane inuite est peut-être pas mal ? !
Historiquement dispersés, les Malécites, nomades, ne pratiquaient pas l’agriculture
*Les autres ingrédients (camomille, citronnelle, gingembre…) présents dans chaque parfum ne proviennent pas du Nunavik. C’est la compagnie Trans-Herbe qui s’occupe de produire les cinq mélanges jusqu’à l’emballage. Dix autres recettes sont en attente; cette fois, des recettes 100% à base de plantes du Nunavik. Mais lancer ces nouveaux parfums reste pour le moment conditionnel aux ventes.