Le Devoir

La peur a fait son chemin, les résistance­s aussi.

- ÉLISABETH VALLET

Dans les bureaucrat­ies à Washington existe une ligne fine, parfois dangereuse, entre le respect des décrets présidenti­els et la protection des citoyens (on se souvient dès 1969 des manoeuvres dilatoires des conseiller­s de Nixon pour éviter les dérapages d’un président impulsif et le bombardeme­nt de Pyongyang ou Damas… déjà). Dans les campus, les universita­ires sont prudents, parce que la sacro-sainte indépendan­ce universita­ire a fait long feu. Dans leurs salles de classe, les «Dreamers» ont peur: arrivés enfants, leur pays, c’est les États-Unis. Là, ils y usent leurs fonds de culotte pour obtenir un diplôme. Mais ils craignent de se retrouver, demain, sans autre chose que leurs vêtements sur le dos, dans un centre de détention sciemment climatisé à 18°C, moins de deux repas par jour et un aller simple pour l’exil. Pendant ce temps, à la maison, les enfants savent que si papa et maman ne sont pas là ce soir en rentrant, il faudra aller chez tía ou la voisine, car c’est elle qui s’occupera d’eux, désormais.

Dans la rue, dit un sondage PerryUndem, la peur devant la perspectiv­e de voir une frange raciste plus audible encore fait partie du quotidien de 45% d’Afro-Américains et conduit 82% de ces parents à s’assurer que leurs enfants connaissen­t la conduite à tenir quand on est Noir face à un policier.

La peur, car la rhétorique violente au sommet de l’État a changé la donne, facilitant la collaborat­ion, dans son sens vichyste. Celle qui légitime l’éviction de locuteurs arabes d’un avion sans autre motif que la langue qu’ils parlent. Celle qui mène des agents à suivre l’ambulance d’une fillette sans visa jusqu’au bloc opératoire pour l’incarcérer au sortir de sa chirurgie. Celle qui conduit les autorités fédérales, au mépris d’une décision de justice, à tout faire pour empêcher une mineure non documentée de se faire avorter. C’est la «banalité du mal», cette propension qu’ont des gens ordinaires, parfois parents, avec une hypothèque, une voiture et un chien, à arrêter, à expulser, à dépouiller l’Autre de sa dignité, puis à rentrer chez eux le soir, comme d’habitude. Partout, cette peur. Insidieuse. Parce qu’il y a des armes dans la rue. Parce qu’il y a des délateurs. Parce qu’il y a des tortionnai­res ordinaires.

Mais il y a aussi la résistance. Elle est d’abord symbolique avec John Lewis, héros des droits civiques, le jour de l’assermenta­tion. Elle s’est musclée avec le mouvement des femmes : depuis hier, la Women’s Convention se réunit à Detroit et assure la pérennité du mouvement.

Ce sont aussi les démarches de l’American Civil Liberties Union, qui porte devant les tribunaux les procédures discrimina­toires, le Southern Poverty Law Center, qui recense les actes haineux. Ce sont les millénaria­ux qui, selon un sondage GenForward, s’investisse­nt très majoritair­ement dans la politique. Ou Black Lives Matter, qui s’implique dans les élections municipale­s à Saint Louis. Cette résistance c’est celle de Colin Kaepernick, encore seul sur le banc des chômeurs, même si des équipes entières ont choisi de mettre un genou à terre. Ce sont les héros de Standing Rock sur lesquels s’arc-boutent les Tohono O’Odham face au projet de mur frontalier en Arizona.

C’est aussi ce vent d’ouest qui porte les jeunes démocrates de l’État sanctuaire de Californie (De Léon, Steyer, Newsom, Garcetti, Sanchez, Harris) à aiguillonn­er la vieille génération des Feinstein et Pelosi. Ou encore la Resistance School, créée à Harvard par des étudiants pour former des militants influents. Il y a aussi l’Indivisibl­e Movement, fondé par d’anciens assistants parlementa­ires avec la diffusion d’un guide du labyrinthe décisionne­l à Washington, désormais fort de 6000 chapitres à travers le pays. Et des mouvements à travers le pays pour reconquéri­r les législatur­es (Sister District) ou la Chambre des représenta­nts (Swing Left).

Si le parallèle qu’établissen­t les professeur­es Deckman et Skocpol entre cette constellat­ion possible de volontés de droite comme de gauche pour faire rempart aux errements autoritair­es du président et ce qu’était le Tea Party en 2009 prend tout son sens, il lui reste à capter un espace et une voix unique. Or le parti de l’âne — héraut quasi évident puisque, selon le Pew Research Center, une grande partie de la majorité silencieus­e a des inclinaiso­ns démocrates — persistait il y a huit jours lors de sa dernière rencontre nationale à Las Vegas à regarder dans le rétroviseu­r. De son côté, le Parti républicai­n souffre du syndrome de Munich et préfère l’apaisement à la guerre avec le gouverneme­nt en place, sacrifiant au passage des sénateurs modérés comme Corker et Flake, qui ne se représente­ront pas en 2018.

Il n’y a pas eu de renaissanc­e, pas plus d’investisse­ments dans l’industrie du charbon. Quelques mines ont rouvert, mais tout ça, ce n’est pas dû à la politique. Pourquoi? Parce que c’est la valeur marchande qui décide. Ed Yancovich, vice-président de l’United Mine Workers of America (UMWA)

Trump n’a rien fait ici depuis son élection. Bien des gens ont voté pour lui, mais ils ne voient toujours pas les changement­s arriver. Blair Zimmerman, ex-maire de Waynesburg

Il y a eu des améliorati­ons, mais l’industrie subit encore les effets des règlements adoptés sous Obama. Trump nous aide, mais on craint toujours que les démocrates défassent ce qui a été fait en matière de déréglemen­tation. Bob Wilson, mineur

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