Recyclage : une industrie dépendante des exportations
Les consommateurs risquent fort de payer pour l’absence d’infrastructures adéquates au Québec
La crise du recyclage qui frappe le Québec démontre que le modèle mis en place au fil des ans est beaucoup trop dépendant des exportations de matières récupérées. Et pour éviter le pire, il faudra développer une industrie québécoise capable de traiter des centaines de milliers de tonnes de matières, ce qui n’existe pas à l’heure actuelle.
Le Devoir révélait lundi que le Québec est sur le point d’être confronté à une crise extrêmement sévère du recyclage provoquée par la fermeture du marché chinois, principal acheteur de nos matières recyclables. Une situation qui pourrait forcer l’enfouissement ou l’incinération de plusieurs milliers de tonnes de ces matières.
«Nous avons déjà les deux pieds dans la crise. Le cours des matières sur les marchés a baissé dramatiquement», corrige Sylvain Massicotte, secrétaire général de l’Association des organismes municipaux de gestion des matières résiduelles (AOMGMR), dont les membres offrent des services à plus de 85% de la population québécoise.
M. Massicotte affirme même que les organismes municipaux envisagent les mois à venir avec «pessimisme», tout simplement parce qu’il n’existe actuellement «aucune» solution pour éviter le pire.
Il faut dire que plus de 60% des «fibres» (papier et carton) exportées sont actuellement expédiées en Chine, soit près de 300 000 tonnes. À cela s’ajoute une part importante des quelque 40 000 tonnes de plastique récupérées.
Le secrétaire général de l’AOMGMR se demande ce que les 23 centres de tri du Québec feront de toute cette matière invendue.
«L’entreposage n’est pas une solution idéale, d’abord parce qu’ils n’ont souvent pas d’espace. Et dans le cas du papier et du carton, après trois ou quatre mois, la qualité de la matière diminue et elle doit être triée de nouveau. C’est tout un problème, qui vient avec des coûts.»
Une facture qui, en fin de compte, sera refilée aux consommateurs.
Recycler ici
Selon M. Massicotte, tout le problème réside dans le fait que le Québec récupère, mais qu’il ne recycle pratiquement pas. «Même si nous augmentons la qualité des centres de tri du Québec, nous serions toujours à la merci des marchés d’exportation. Et dans ce contexte, des pays peuvent décider du jour au lendemain de mettre fin aux importations ou de les limiter fortement. Dans un monde idéal, il faudrait être en mesure de transformer nos matières au Québec.»
Concrètement, les matières récupérées sont toutefois de plus en plus exportées. Les plus récentes données disponibles indiquent que plus de 60 % des 800 000 tonnes de matières (papier, carton, plastique, métal et verre) récupérées annuellement au Québec sont envoyées à l’extérieur de la province.
Le Québec se trouve donc à «subventionner l’exportation de ressources et d’emplois», résume Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets.
«Pour le moment, on subventionne la collecte sélective à hauteur de 150 millions de dollars par année, puis on exporte la majorité des matières. Mais est-ce que c’est cela, un modèle d’économie circulaire?»
Aucun moyen concret
La ministre de l’Environnement, Isabelle Melançon, affirme toutefois qu’elle souhaite développer un système qui miserait davantage sur
le recyclage des matières directement sur le territoire du Québec. Mais pour le moment, le gouvernement n’a pas proposé de moyens concrets pour y parvenir.
M. Ménard estime qu’un tel modèle passe notamment par la création d’une «agence de commercialisation» qui permettrait d’assurer une certaine stabilité des prix des matières, mais aussi de mieux «gérer» les matières au Québec. «Des centres de tri devraient faire de la consolidation, avant que les matières soient transportées dans des centres réservés à certaines matières.»
Cela permettrait d’augmenter la «qualité» du tri, et donc l’accès aux marchés.
Il plaide aussi, et surtout, pour la création d’une «demande» pour les matières recyclables au Québec, à travers l’écofiscalité, «mais aussi l’obligation pour le gouvernement, par exemple, d’acheter du papier recyclé».
« Préoccupée » par la fermeture du marché chinois, la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) presse le gouvernement de mettre en place un «chantier» afin de trouver des solutions.
La Société Via, une entreprise d’économie sociale de Lévis qui fait affaire avec 175 municipalités, a quant à elle choisi d’améliorer la qualité du tri des matières, mais dans une optique de diversification des marchés d’exportation. Elle a investi 20 millions de dollars depuis cinq ans, en partenariat avec les municipalités.
«Nous avons des marchés pour l’ensemble de nos matières, incluant le papier journal. Nous avons pu diversifier nos marchés. »