Le Devoir

Montrer patte blanche

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

Le premier ministre Couillard a bien pris note du récent sondage Léger-Le Devoir. À ses yeux, François Legault est désormais l’ennemi public numéro un. «M. Legault doit maintenant commencer à se faire questionne­r sur ses positions, ses absences de position ou ses changement­s de position. Les petites idées qu’il lance à droite ou à gauche, maintenant il doit expliquer comment ça va marcher », a-t-il lancé en fin de semaine dernière devant un parterre de militants libéraux inquiets de la tournure des événements.

Il est vrai que le chef de la CAQ a souvent tendance à laisser des blancs dans ses propositio­ns. Ainsi, son ambitieux projet Saint-Laurent, qui devait nous mener à la «conquête du monde», mais dont il ne parle plus, faisait totalement abstractio­n du gouverneme­nt fédéral, dont la participat­ion serait pourtant essentiell­e à la réussite d’un tel projet.

M. Legault n’a pas davantage expliqué comment sa non moins grandiose Baie James 2 serait conciliabl­e avec les importants surplus d’électricit­é que le Québec n’arrive pas à vendre à un prix décent en raison de l’abondance d’un gaz naturel bon marché. Son entretien avec la première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, n’avait rien de rassurant quant à une possible collaborat­ion avec cette province.

Au cours des prochains mois, M. Legault devra clarifier certaines choses. Par exemple, alors que le réseau de l’éducation se remet péniblemen­t d’une longue période d’austérité et d’instabilit­é ministérie­lle, la CAQ compte-t-elle toujours le replonger dans la tourmente en abolissant les commission­s scolaires ?

M. Legault ne doit pas se méprendre: les sondages dont il a tout lieu de se réjouir traduisent essentiell­ement un ardent désir de changement. Il ferait une grave erreur en y voyant une quelconque adhésion au programme de la CAQ, dont la population connaît en réalité peu de choses.

Il est vrai que la très grande majorité des électeurs ne lisent pas les programmes des partis politiques. Ils n’en retiennent généraleme­nt qu’une ou deux idées, soit qu’ils les trouvent intéressan­tes ou au contraire repoussant­es.

Un des grands succès de la CAQ au cours des dernières années a été de se donner l’image d’un parti des jeunes familles. Cela ne veut cependant pas dire que le «modèle» familial que le Québec a construit au fil des ans doit être chamboulé. Soutenir la famille ne signifie pas nécessaire­ment revenir cinquante ans en arrière. Les stratèges caquistes semblent l’avoir compris.

Même si la nouvelle députée de Louis-Hébert, Geneviève Guilbault, et M. Legault luimême ont manifesté leur sympathie pour la propositio­n de l’aile jeunesse du parti, qui voulait ressuscite­r l’idée d’une aide financière à la mère au foyer, au risque de nuire considérab­lement au réseau des centres de la petite enfance (CPE), elle ne fait pas partie de celles qui seront soumises au conseil général de la fin du mois. On y parlera de soutien à la natalité, de congés parentaux, de conciliati­on travail-famille, mais rien ne rappellera les «bons de garde » de la défunte ADQ.

On ne prévoit pas davantage de mesures pour soutenir le modèle d’affaires des garderies non subvention­nées, comme l’avait laissé entendre Mme Guilbault. On entend plutôt faire en sorte que les CPE offrent des horaires plus flexibles afin de s’harmoniser à ceux d’un nombre grandissan­t de familles.

À l’approche des élections de 2003, c’est l’ADQ qui incarnait le changement face au gouverneme­nt péquiste, mais elle avait eu le tort d’introduire dans son programme des éléments qui apparaissa­ient rétrograde­s, comme les «bons de garde», le taux d’imposition unique ou encore la «médecine à deux vitesses». Jean Charest avait beau être à la tête d’un «vieux parti», il avait eu beau jeu de dénoncer ce « dumontisme », digne d’un autre âge.

Après quinze ans de règne libéral presque ininterrom­pu, Philippe Couillard ne demande certaineme­nt pas mieux que d’imiter son prédécesse­ur en diabolisan­t le programme caquiste plutôt que d’avoir à défendre son propre bilan.

Si la CAQ se retrouve présenteme­nt en tête dans les intentions de vote, c’est largement parce qu’un bon nombre de péquistes, à qui Jean-François Lisée a demandé de mettre le référendum en veilleuse, estiment qu’elle est la mieux placée pour débarrasse­r le Québec des libéraux.

Sur le plan identitair­e, la CAQ en a fait suffisamme­nt pour que la perspectiv­e de son élection ne soit pas perçue comme une catastroph­e. Il ne faut cependant pas que cela implique de faire table rase des avancées sociales des dernières décennies, dont la création des CPE représente sans doute le plus bel exemple aux yeux de la population. Pour conserver son appui, la CAQ a tout intérêt à montrer patte blanche.

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