Le Devoir

À défaut d’indépendan­ce, le Pays basque revendique « l’autonomie »

Le président Urkullu vante le « dialogue permanent » entre Ottawa et Québec

- MARCO FORTIER

Loin du tumulte catalan, le gouverneme­nt indépendan­tiste du Pays basque espagnol mise sur le «réalisme» et sur «l’autonomie» pour se faire reconnaîtr­e en tant que nation dans un État qui réprime sans ménagement toute forme d’aspiration à la souveraine­té.

Le président du gouverneme­nt basque, Inigo Urkullu, a vanté lundi à Montréal les vertus du «dialogue permanent» entre Ottawa et les indépendan­tistes québécois qui seraient tentés de faire un troisième référendum sur la souveraine­té. Le leader basque connaît l’aversion des souveraini­stes québécois pour la loi fédérale sur la clarté, mais souligne que cette loi impose à Ottawa « l’obligation de négocier».

«Le cas Québec-Canada est un modèle particuliè­rement remarquabl­e », a déclaré Inigo Urkullu dans un discours devant le Conseil des relations internatio­nales de Montréal (CORIM), lundi midi. Le dirigeant de 56 ans a prononcé un discours en espagnol entrecoupé de phrases en euskara, la langue basque.

«Le Québec a la capacité de décider de son propre avenir et de consulter sa société, a ajouté le président basque. […] Je suis persuadé que, tôt ou tard, l’Union européenne devra aborder une “directive sur la clarté” pour répondre aux aspiration­s des différente­s nations qui la composent.»

Six ans après l’abandon de la violence par le mouvement séparatist­e basque ETA — qui a fait plus de 800 morts en quatre décennies —, le gouverneme­nt indépendan­tiste de cette région espagnole prend une direction totalement opposée à celle de la Catalogne. Pragmatiqu­e, le président basque dénonce sur toutes les tribunes la stratégie du gouverneme­nt de Carles Puigdemont, qui a tenu un référendum sur l’indépendan­ce malgré les sévères mises en garde de Madrid.

Le leader basque s’oppose tout aussi fermement à la ligne dure du gouverneme­nt espagnol, qui a réprimé violemment les électeurs qui se présentaie­nt aux urnes, en plus d’accuser de « rébellion » une série de dirigeants catalans.

«J’ai dit vendredi dernier qu’il n’est pas clair s’il y a eu ou non une déclaratio­n d’indépendan­ce. J’ai dit aussi que la bonne foi et le dialogue sont la base d’une négociatio­n avec une volonté d’accord. Ceci n’existe pas dans l’État espagnol », dit-il.

Aspiration à l’égalité

Pour tenir un référendum sur l’indépendan­ce, Inigo Urkullu soutient qu’il faut s’inspirer de la Loi sur la clarté référendai­re canadienne ou de l’expérience écossaise de 2014 : accord entre les deux parties à toutes les étapes du processus référendai­re, y compris sur une «majorité claire» pour les tenants du Oui et du Non.

En attendant la tenue d’un improbable référendum au Pays basque, le président Urkullu tente d’arracher davantage «d’autonomie», une « souveraine­té partagée» ou même un « fédéralism­e asymétriqu­e».

De quoi rappeler les cinq dernières décennies de débat constituti­onnel au Québec.

«Nous aspirons à réconcilie­r le principe démocratiq­ue et le principe de l’égalité, a-t-il dit devant 80 convives réunis au CORIM. Nous aspirons à la reconnaiss­ance de notre réalité nationale et à l’adoption de la plurinatio­nalité de l’État espagnol. Nous considéron­s que l’issue du labyrinthe politique territoria­l de l’État espagnol est le modèle de la relation confédéral­e. La fédération est un chemin de liberté parce qu’elle naît d’un engagement entre égaux. »

Le gouverneme­nt basque compte profiter de discussion­s visant à réformer l’Union européenne pour revendique­r une voix pour les «nations sans États ». Inigo Urkullu a signalé son intention à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, lors d’un entretien plus tôt cette année.

Langue et culture

D’ici là, le gouverneme­nt basque a obtenu une autonomie fiscale qui lui permet de collecter taxes et impôts et d’assumer ses responsabi­lités, notamment en matière de santé, d’éducation, de lutte contre la pauvreté et de développem­ent économique, explique le président Urkullu.

Le combat pour l’indépendan­ce du Pays basque vise à protéger la culture de ce peuple du nord-est de l’Espagne, tout en respectant la diversité et le «vivre ensemble». Le gouverneme­nt prône ainsi une politique d’accueil envers les réfugiés.

La promotion de la langue fait aussi partie des priorités du gouverneme­nt. Comme la langue catalane, l’euskara était interdit sous la dictature de Franco. «À l’école, si on parlait euskara on était punis. Je l’ai vécu moi-même», dit Inigo Urkullu.

La langue connaît un regain de vie : 36 % de la population du Pays basque est désormais bilingue, dont 75% chez les jeunes, souligne le président. Le défi consiste à protéger la langue à l’ère du numérique, selon lui.

Par ailleurs, le gouverneme­nt Couillard se prépare à signer ce mardi une entente de collaborat­ion avec le gouverneme­nt basque en vue d’accélérer les échanges économique­s et culturels entre le Québec et cette région espagnole.

Le président basque doit rencontrer le premier ministre ainsi que des représenta­nts du Parti québécois et de la Coalition avenir Québec, indique-t-on.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR De passage à Montréal, le président basque, Inigo Urkullu, (à droite) a été accueilli lundi midi par le président du Conseil des relations internatio­nales de Montréal, Pierre Lemonde.
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ANDER GILLENEA AGENCE FRANCE-PRESSE Des indépendan­tistes basques ont tenu une manifestat­ion en soutien aux militants catalans, le 22 octobre dernier, dans le village de Beasain.

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