Le Devoir

Saumon d’élevage : la Norvège a des projets pharaoniqu­es

- NICOLAS GUBERT à Trondheim

«Nous pouvons produire cinq fois plus de poissons d’ici 2050 » : dans un hôtel cossu de la ville norvégienn­e de Trondheim, un représenta­nt de la Fédération des produits de la mer achève son exposé sur l’ambition presque sans limites de la Norvège en matière d’élevage de saumon.

S’il précise que ce potentiel établi par des chercheurs concerne le saumon et d’autres espèces d’élevage, Øyvind André Haram, responsabl­e de l’informatio­n de Sjømat Norge, explique à l’AFP que, chaque jour, son pays de 5,2 millions d’habitants produit l’équivalent de «14 millions de repas à base de saumon».

Alors que la demande mondiale de saumon d’élevage ne cesse de croître, la Norvège, qui avec 1,3 million de tonnes par an, assure déjà plus de la moitié de la production de la planète, ne compte pas s’arrêter là. Épinglée par le passé pour une production peu durable, elle entend profiter toujours plus de cette manne, même si elle doit pour cela relever de sérieux défis environnem­entaux. «Il y a deux problèmes majeurs dont les autorités sont en train de prendre conscience, la proliférat­ion de poux de mer et les évasions des saumons d’élevage dans la nature», rappelle à l’AFP Julie Døvle Johansen, de l’organisati­on de protection de l’environnem­ent WWF Norvège.

Le pou de mer, un parasite qui oblige à abattre prématurém­ent et massivemen­t les saumons, coûte entre 1 et 1,5 milliard d’euros par an à l’industrie, selon John Arne Breivik, directeur général d’une société de lutte contre cette créature dont la proliférat­ion peut aller jusqu’à tuer les saumons sauvages. D’autant que les saumons de pleine mer risquent d’être fragilisés génétiquem­ent par leurs cousins d’élevage si ceux-ci s’échappent de leurs cages immergées en mer et se reproduise­nt avec eux, selon Julie Døvle Johansen.

Pour se libérer de ces contrainte­s, les géants du secteur fourmillen­t de projets pharaoniqu­es et innovants, qui soulèvent des espoirs, mais aussi d’autres inquiétude­s pour les ONG. «L’industrie du saumon et son ministère de tutelle ont pour ambition de doubler la capacité de production dans les 10 ou 15 prochaines années», assure à l’AFP Truls Gulowsen, responsabl­e de Greenpeace en Norvège, qui juge cet objectif «complèteme­nt fou».

Des aquariums géants

Dans un des nombreux fjords qui bordent l’île de Hitra, les saumons d’élevage du groupe Lerøy, regroupés par milliers dans des parcs circulaire­s en pleine mer, bondissent dans l’eau dans un ballet incessant.

Lena, une jeune salariée, est arrivée il y a à peine un mois: «Nourrir les poissons est le coeur de ce travail», explique-telle à l’AFP, en montrant par caméras interposée­s les saumons en route vers l’âge adulte barboter dans l’eau salée et, parfois, de petits «poissons nettoyeurs», introduits spécialeme­nt pour éliminer les poux de mer, se substituan­t ainsi à l’usage de pesticides.

«On a d’autres solutions», explique Jean-Pierre Gonda, patron pour la France de Lerøy, deuxième producteur mondial de saumon. Il montre des croquis de la «pipe-farm», un bateau-vivier géant, qui comporte six bassins remplis d’une eau de mer pompée par d’énormes tuyaux à 30 mètres de profondeur, à températur­e constante, non tributaire des aléas météo et en principe «débarrassé­e des problèmes de parasites», explique M. Gonda à l’AFP.

La première ferme aquacole de ce type, déjà en service depuis quelques semaines, flotte au large du port de Bergen. D’autres projets colossaux ont

commencé à peupler les mers norvégienn­es, telle la ferme offshore du groupe Salmar, qui accueille des quantités énormes de poissons à l’écart des rivages, depuis cet été. Ou encore l’oeuf sous-marin clos en composite de Marine Harvest, numéro un du secteur, dont seul le haut de la «coquille» apparaît en surface. Ces projets doivent permettre d’éviter l’écueil des poux de mer, sans recourir aux produits chimiques.

Ces fermes d’un genre nouveau visent à satisfaire la demande mondiale toujours plus forte de ce produit de la mer, loué pour ses apports en oméga 3. Elles pourraient «réduire la proliférat­ion des poux de mer», estime la technicien­ne du WWF.

Mais «tout cela est très nouveau, donc on ne sait pas si ça va résoudre les problèmes. Je pense que cela représente potentiell­ement un grand risque», s’interroge-t-elle, craignant une évasion massive de saumons d’élevage, proportion­nelle à la taille de ces nouvelles fermes. Si elle ne nie pas la problémati­que des évasions, la Fédération affirme que le nombre de cas a diminué, notamment grâce à une réglementa­tion plus stricte.

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CÉLINE SERRAT AGENCE FRANCE-PRESSE Les saumons d’élevage du groupe norvégien Lerøy sont regroupés par milliers dans des parcs circulaire­s en mer.

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