Incursion dans le monde des Insoumis
Le documentaire Minoritaires, de Simon Gaudreau, suit les actions des militants du mouvement, de 2011 à 2016
« Q uand je regarde ça 45 ans plus tard, on avait beaucoup de dynamite à un certain moment et on aurait dû être beaucoup plus radical… et peut-être que ça aurait plus changé la situation.» Ces paroles pour le moins étonnantes, captées par la caméra de Simon Gaudreau, sont celles de l’ex-felquiste Rhéal Mathieu, condamné pour homicide involontaire à la suite de l’explosion d’une bombe à l’époque de la crise d’Octobre.
Dès les premières minutes, cette franchise à la fois choquante et intrigante donne le ton à Minoritaires, film documentaire qui suit le combat sans compromis du mouvement des Insoumis, un groupuscule nationaliste de droite de l’Estrie — mais que ses membres disent de centre gauche — qui milite pour l’indépendance du Québec et contre l’islam.
Véritable incursion dans le milieu de cette droite qui ne sort jamais sans son drapeau des Patriotes, le documentaire suit des membres du mouvement dans leur quotidien militant, dont Sylvain Meunier, l’un des cerveaux de la bande, Guy Cardinal, qui a été accusé d’avoir fracassé la vitrine d’une épicerie halal de Sherbrooke et posé des pancartes haineuses envers l’islam, JeanMartin Champagne, le patriote enragé, et Rhéal Mathieu, qui a rejoint le groupe après sa création.
Bien servi par une approche ethnographique et une esthétique recherchée, le film — parfaitement d’actualité — présenté lundi au Festival du cinéma international d’AbitibiTémiscamingue est troublant par ses contrastes : rompus à une intolérance — et à une ignorance crasse — face à l’islam, radicaux dans leur militantisme candide qui se déploie à coup de «Vive le Québec libre» et de « le Québec en français» agrémentés de quelques sacres et grossièretés, les membres des Insoumis sont pourtant des humains malgré leur aspect caricatural. Ce sont des Québécois qui existent vraiment, comme on en connaît probablement tous, ce que nous révèle la caméravérité de Simon Gaudreau.
«La moitié du Québec a des affinités petites ou grandes avec des personnes dans le groupe. Mais mon film en propose une vision complexe. Je ne fais pas de la communication, je propose une oeuvre d’art cinématographique», avance cet autodidacte issu du milieu des arts visuels, en entrevue au Devoir.
Pas un film politique
Et il insiste : son film n’est pas politique mais humain avant tout. «Oui, je voulais voir comment ce petit groupe d’humains allait réagir à la charte des valeurs, explique le réalisateur, qui a tourné son film pendant le récent intervalle péquiste. Mais ce n’est pas un pamphlet ou un reportage. Je ne suis pas un cinéaste engagé qui défend un programme politique nationaliste. Je m’intéresse à comment ces gens sont traversés par leurs convictions qui sont politiques.»
La démarche n’est en effet pas du tout militante. Le cinéaste de King of the l’Est et de Fucké — respectivement sur les milieux durs du rap underground et d’hommes souffrant de dépendances — s’est d’ailleurs empêché d’exprimer toute vision ou opinion, allant même jusqu’à éviter de voter aux élections. « Mais je me suis imprégné de leur univers et de la question culturelle québécoise. Je me demandais comment le nationalisme minoritaire allait se transformer dans une société où les minorités sont multiples, justement. »
Apologie ou condamnation?
Et là encore, cette incapacité de déceler le point de vue de celui qui est derrière la caméra trouble le spectateur, qui oscille entre l’effroi et l’acceptation. Assiste-t-on à une apologie de l’intolérance et du repli sur soi ou à une dénonciation de cette réalité ? «Ceux qui ne verront pas le film diront que c’est une apologie, mais ceux qui vont le voir vont se rendre compte qu’il y a divers degrés. Ce n’est manifestement pas la promotion des Insoumis et il y a moyen de développer une critique de ce groupe-là, soutient M. Gaudreau. D’un autre côté, je trouvais le temps de prendre le temps d’écouter ces gens-là, de les voir vivre sans leur donner une plateforme pour exprimer leur opinion. »
Il suggère de voir le film en groupe et de prendre du temps pour en discuter, même si on en sort choqué ou indigné. «Il faut accepter que l’autre ne voie pas le même film que soi.»