Le Devoir

Passage de témoin en Chine.

Une chronique de François Brousseau.

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com

L’un monte, l’autre descend… Lors de son périple asiatique qui se termine demain, et d’une façon sans doute inconscien­te, Donald Trump a passé à Xi Jinping le «bâton témoin» de la première puissance sur Terre.

Qui est le vrai numéro un mondial en 2017? Le PIB des États-Unis — pour ce que ce chiffre dit vraiment — reste devant celui de la Chine, si on convertit tout en dollars américains: 18 000 milliards de dollars par an, contre 12 000 environ. Mais la CIA, utilisant d’autres méthodes (selon ladite «parité de pouvoir

d’achat »), place déjà la Chine en tête dans son classement annuel.

Au-delà des chiffres, la tendance est là: non seulement en matière d’économie, mais également d’influence, de diplomatie, de modèle politique… voire, bientôt, de capacité militaire.

La séquence diplomatiq­ue de la semaine écoulée montre cruellemen­t qui, aujourd’hui, monte et qui descend. Qui a le vent dans les voiles, ou du jeu dans les rivets. Qui sait où il va, et qui navigue à vue.

Après des étapes à Tokyo et à Séoul, le président américain, habilement flatté par son hôte de Pékin à coups de tapis rouges et de banquets (sachant à quel point cela paye devant l’enfantin Donald Trump), a dit toute son admiration pour «l’homme remarquabl­e», le «leader très fort», «le roi de la Chine»…

Voici un président et secrétaire général chinois, Xi Jinping, en position de force et en pleine ascension, et qui — du moins à l’internatio­nal — sait exactement où il s’en va. Une Chine qui, il y a encore dix ans, rechignait à s’assumer ouvertemen­t comme grande puissance, mais qui aujourd’hui prend l’initiative internatio­nale sur la question climatique, finance plus que jamais l’ONU, s’affirme même comme une solution de rechange politique: «La Chine, a dit Xi fin octobre au congrès du PCC à Pékin,

offre une autre option pour des pays qui veulent accélérer leur développem­ent tout en préservant leur indépendan­ce.»

Et face à ce dictateur en train de proposer son modèle au monde? Des États-Unis erratiques, en déclin manifeste… dont le président est empêtré — et se contredit continuell­ement — dans l’affaire des immixtions russes ( «Je crois Poutine qui me dit qu’il n’a rien fait»…

puis le lendemain, au contraire: «Je crois nos

agences de renseignem­ent»). Un homme qui n’arrive pas à faire passer ses projets au Congrès, n’est soutenu que par un gros tiers de l’électorat, dans un pays qui se voyait comme le phare de l’humanité mais dont la démocratie paraît aujourd’hui en panne…

Un des premiers gestes de Donald Trump, à peine arrivé au pouvoir en janvier, fut de se retirer du projet (cher à Barack Obama) de Traité de libre-échange transpacif­ique. Un traité commercial excluant Pékin, qui était justement vu à Washington comme un contrepoid­s à l’influence grandissan­te de la Chine en Asie…

Aujourd’hui, devant le retrait unilatéral américain, on se frotte les mains à Pékin: l’espace régional est à nous ! Et devant la lourde intimidati­on chinoise en Asie, par exemple sur la question des eaux territoria­les, beaucoup de voisins (Philippine­s, Malaisie… et même le Vietnam — mais pas le Japon) pensent de plus en plus à s’éloigner de Washington et à «filer doux» avec Pékin… loin, bien loin d’une attitude de résistance face à ce nouvel impérialis­me régional.

Il y avait là des tendances stratégiqu­es déjà existantes… mais aujourd’hui, radicaleme­nt accentuées par le «bilatérali­sme» forcené, par le retrait et l’isolationn­isme du président américain.

Cet homme est manifestem­ent fasciné par les despotes (éclairés ou non), qui en retour le flattent et le manipulent. En Chine tout d’abord avec Xi Jinping, mais aussi en Russie avec Vladimir Poutine, aux Philippine­s avec Rodrigo Duterte…

Sans oublier (dans une autre région du monde) l’Arabie saoudite, où un prince héritier de 32 ans, déjà virtuellem­ent au pouvoir, fait coffrer ses rivaux, bombarde sadiquemen­t le Yémen, fait disparaîtr­e le premier ministre libanais, menace de guerre le Liban et l’Iran… avec un Trump qui, depuis Tokyo, approuve: «Il a toute ma confiance, il sait ce qu’il fait.»

Mais l’homme de la Maison-Blanche se rendil compte, lui, qu’il est en train de liquider le leadership historique des États-Unis ?

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