Arvida L’ambition d’être inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO
Après le Vieux-Québec, Percé et le Mont-Royal, la ville industrielle d’Arvida complétera bientôt la prestigieuse liste des douze sites patrimoniaux reconnus du Québec. À la veille d’une consultation clé sur le projet, zoom sur un site patrimonial aussi méconnu que particulier.
«Quand on va être prêts, ça va être un point d’intérêt extrêmement important au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ça va devenir un attrait touristique», lance le conseiller municipal Carl Dufour.
Voilà près de dix ans que monsieur Dufour milite pour la reconnaissance du vieux site de l’Aluminium Company of Canada (Alcoa). Il n’a jamais été aussi près du but.
Le 12 juillet dernier, le ministre Luc Fortin mandatait le Conseil du patrimoine culturel du Québec (CPCQ) pour qu’il tienne une consultation afin d’en faire un site patrimonial officiel (l’équivalent des anciens arrondissements historiques).
«Le site de l’ancienne ville d’Arvida constitue un repère de l’identité québécoise qu’il importe de protéger et de préserver», avait-il alors déclaré.
Après avoir sondé les gens sur le Web, le CPCQ sera à Arvida jeudi pour présenter son projet de protection du site et recevoir les commentaires des résidants. Les frontières prévues sont-elles adéquates? Que pensent les propriétaires des responsabilités qui viennent avec une telle reconnaissance? Et ce n’est qu’un début. Cette étape franchie, on souhaite faire reconnaître Artvida
par nul autre que l’UNESCO.
Sur place, les petites maisons blanches se succèdent dans des rues paisibles avec, au loin, les grandes cheminées de l’usine Rio Tinto. À première vue, le site d’Arvida a surtout l’air d’une jolie banlieue proprette et bien entretenue. Pourquoi en fait-on tout un plat ?
D’abord, pour l’histoire de sa construction. En 1926, l’entreprise y érige pas moins de 270 maisons en 135 jours. Par souci d’efficacité, les trains déchargent les matériaux
le long des terrains, là où seront aménagées les rues.
Mais encore! L’entreprise fait construire plus de 100 modèles distincts pour les 2000 résidences que doit compter la ville. Du jamais vu. « Arvida, c’est un peu à l’histoire de l’urbanisme ce que la Joconde est à l’histoire de l’art», avance la titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l’UQAM, Lucie K. Morisset.
Les concepteurs, rappelle-telle, ont utilisé «tous les moyens de l’urbanisme» afin de concevoir une ville industrielle unique axée sur l’égalité et la qualité de vie. Une démarche d’avantgarde pour les années 1920… Jusque-là, les villes de compagnies avaient plutôt eu tendance à aménager les logements pour « contrôler les ouvriers ».
Or ceux d’Arvida allaient être propriétaires. « On préfigure la société qui va se développer après 1945, poursuit Mme Morisset. C’est à la fois un projet urbain, social et industriel pour développer une société égalitaire fondée sur la propriété de la maison. »
Les concepteurs créent des modèles inspirés de la maison canadienne et permutent certains motifs architecturaux pour qu’on puisse les distinguer. «Non seulement chaque Arvidien pouvait devenir propriétaire, mais reconnaître sa maison parmi les autres.» Décidément, rien ne semble laissé au hasard dans cette ville dont le nom vient des premières lettres du prénom et du nom du fondateur de la compagnie, Arthur Vining Davis (Ar-Vi-Da).
La compagnie est alors un géant mondial qui, en 1928, contrôle pas moins de 90% de la production d’aluminium dans le monde. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fournit les deux tiers de l’aluminium utilisé dans la conception de l’aviation des Alliés.
Récente mise en valeur
Encore aujourd’hui, la population arvidienne a un fort sentiment d’appartenance et de fierté. Lorsque Carl Dufour a commencé à faire du porte-àporte pour tester l’idée d’en faire un site protégé, les réactions étaient étonnantes. « J’expliquais aux gens que je voulais baser ma campagne sur la protection d’Arvida et les gens me disaient: “Mais on est déjà à l’UNESCO!”»
Sur place, on parle encore avec colère de la fusion forcée. Non pas celle de la ville de Saguenay en 2001, mais celle de 1975 avec Kénogami! Après cela, explique Mme Morisset, on a littéralement voulu « effacer » le nom d’Arvida.
Dès lors, il a fallu attendre la fin des années 1990 avant que la ville commence à s’intéresser aux particularités du site, explique Roger Lavoie, responsable du patrimoine architectural à la ville de Saguenay.
En 2010, elle créait un ambitieux programme de subvention encourageant les résidants à rénover les maisons à la manière de l’époque. Les toits en aluminium sont financés à 75%; les revêtements extérieurs en bois à 100 %. Fini le vinyle !
On a aussi aménagé des enseignes rétro aux entrées de la ville. Des répliques identiques à ce qu’on y voyait durant les années 1950. Dans la zone protégée, les noms des rues sont sur des enseignes à l’ancienne.
Mais il reste beaucoup de travail à faire pour accueillir les touristes. Pour l’heure, Arvida n’a aucun musée ou centre d’interprétation permettant d’apprécier son histoire. « On n’est pas prêts », convient Carl Dufour, qui rêve du jour où Arvida sera à la région ce que le Vieux-Québec est à la capitale.
D’autant plus que le Saguenay–Lac-Saint-Jean n’a pas de site historique en tant que tel pour les croisiéristes qui débarquent pourtant en grand nombre à La Baie. Lucie K. Morisset ajoute qu’il faudra développer des outils interactifs et «qu’on ne fait plus du patrimoine comme dans les années 1960 ».
À ceux qui s’étonnent qu’on veuille porter la cause d’Arvida jusqu’à l’UNESCO, elle fait remarquer que plusieurs « villes de compagnies » y figurent déjà, comme Rjukan-Notodden en Norvège ou encore le Bassin minier du Nord-Pasde-Calais, en France.
«C’est ce que le XXe siècle a légué. Il y a un temps, on regardait Brasília et on trouvait ça horrible. De la même façon qu’après la construction du Château Frontenac, en 1892, on en a parlé pendant des années comme de la “verrue du Vieux-Québec”. »