Le Devoir

Chine Les négociatio­ns devront attendre

Les positions des deux pays apparaisse­nt encore bien éloignées

- ÉRIC DESROSIERS

Le lancement attendu des négociatio­ns de libre-échange entre le Canada et la deuxième puissance économique mondiale n’a pas eu lieu au premier jour de la visite de Justin Trudeau en Chine.

Le premier ministre canadien était reçu par son homologue chinois, Li Keqiang, dans le somptueux palais de l’Assemblée du Peuple, à Pékin. De nombreux acteurs, notamment du monde des affaires, faisaient circuler depuis quelques jours la rumeur que c’était le moment que les deux pays devaient avoir choisi pour annoncer le début officiel de la première négociatio­n de libre-échange entre la Chine et un pays membre du G7.

Au lieu de cela, les deux hommes sont ressortis de leur rencontre avec pour toute intention de poursuivre les discussion­s exploratoi­res en cours entre leurs deux pays depuis un peu plus d’un an.

Ils ont quand même eu de bons mots l’un pour l’autre dans leurs communiqué­s finaux, la conférence de presse prévue à la fin de la rencontre ayant étant annulée. Justin Trudeau a dit avoir eu avec son hôte des échanges «francs et directs» et espérer être en mesure d’approfondi­r les liens économique­s du Canada avec la Chine.

«Les occasions d’approfondi­r nos liens économique­s et de peuple à peuple sont exceptionn­elles», a renchéri Li Keqiang, qui qualifie notre époque «d’âge d’or» des relations entre les deux pays. «Nous avons eu un échange sincère et en profondeur concernant nos positions, et nous en sommes venus à un terrain d’entente », a-t-il ajouté sans toutefois préciser la nature de cette entente.

En rencontre par la suite avec des journalist­es, le premier ministre canadien n’a pas voulu préciser quels enjeux accrochent entre les deux pays. Il s’est contenté de dire que le Canada souhaitait un accord plus ambitieux, notamment en matière de protection de l’environnem­ent, de promotion de meilleures conditions de travail et d’égalité des sexes.

Les deux pays en ont quand même profité pour signer trois ententes de coopératio­n en matière de développem­ent des énergies propres, d’agricultur­e et de tourisme. Justin Trudeau doit encore rencontrer le tout puissant président chinois, Xi Jinping, mardi, et poursuivra sa tournée jusqu’au 7 décembre.

L’eldorado chinois

Pays tourné vers le commerce, le Canada cherche depuis toujours à ne pas rester enfermé dans sa relation privilégié­e avec le puissant voisin américain, particuliè­rement depuis l’élection d’un nouveau gouverneme­nt américain ouvertemen­t protection­niste. Ainsi, il a signé

Trudeau n’a pas voulu préciser aux journalist­es quels enjeux accrochent entre les deux pays

« Les occasions d’approfondi­r nos liens économique­s et de peuple à peuple sont exceptionn­elles Le premier ministre chinois, Li Keqiang

récemment un traité de libre-échange avec l’Union européenne, il travaille avec 10 autres pays à une nouvelle version du Partenaria­t transpacif­ique sans les États-Unis et il nourrit des projets d’accords avec l’Inde et la Chine.

Concernant la Chine, le ministre canadien du Commerce, François-Philippe Champagne, soulignait encore lors d’un discours, la semaine dernière, «l’incroyable potentiel encore inexploité» d’une économie qui constitue déjà le deuxième partenaire commercial du Canada avec 90 milliards d’échanges avec le Canada par année. «Un chiffre qui devrait doubler encore et encore d’ici 2025», affirmait-il devant la Chambre de commerce de la région de Toronto.

Le rapport des consultati­ons publiques réalisées ce printemps auprès de plus de 600 intervenan­ts, principale­ment issus du monde des affaires, révèle une opinion partagée entre les promesses de retombées économique­s d’un éventuel traité de libre-échange et la crainte de ses impacts «sur les emplois canadiens et la compétitiv­ité dans certains secteurs, en particulie­r l’exploitati­on minière et des soussecteu­rs manufactur­iers».

On dit craindre par exemple la concurrenc­e déloyale d’entreprise­s chinoises profitant «de faibles normes du travail en Chine, d’exigences environnem­entales moins sévères [et] de subvention­s publiques à la production ».

On note également qu’en dépit d’une améliorati­on du système judiciaire chinois, notamment en matière de protection de la propriété intellectu­elle, le marché chinois reste miné par un « cadre réglementa­ire imprévisib­le et opaque» dont l’une des fonctions semble être de bloquer les entreprise­s étrangères.

Beaucoup de gagnants, quelques perdants

Il ne fait pas de doute qu’une plus grande ouverture à la concurrenc­e chinoise en bousculera­it certains au Canada, prévient Zhan Su, professeur de stratégie et de management internatio­nal à l’Université Laval à Québec. « Mais il faut juger la valeur d’un projet d’accord de libre-échange aux gains globaux qu’il apporterai­t.

Et le Canada en sortirait globalemen­t gagnant», a-t-il fait valoir lundi en entretien téléphoniq­ue au Devoir. Non seulement parce que l’économie chinoise a soif des ressources naturelles et agricoles dont le Canada dispose en abondance, mais aussi parce qu’elle a besoin de l’expertise des entreprise­s manufactur­ières et de services canadienne­s notamment dans les sciences de l’environnem­ent, de l’informatiq­ue, des télécommun­ications, des métaux et des sciences de la vie.

L’expert ne croit pas que les exigences élevées du Canada en matière de protection de l’environnem­ent, d’améliorati­on des conditions de travail ou d’égalité des sexes soient un obstacle infranchis­sable à la conclusion d’une entente. «Le gouverneme­nt chinois partage plusieurs de ces objectifs.» Il faudra cependant faire preuve de diplomatie pour ne pas donner l’impression de forcer la Chine à se mettre à genoux devant l’Occident et lui permettre d’aller à son propre rythme. «Soyons clairs, dit le professeur Zhan Su.

La Chine ne bougera pas sur la tenue d’élections multiparti­tes ou la libération de ses prisonnier­s politiques, mais elle a commencé à avancer dans d’autres domaines. »

De toute manière, le Canada ne doit pas non plus surestimer sa capacité de commander à lui seul des changement­s au pas de course.

Après tout, il est déjà prêt à démontrer de la souplesse et à accorder des délais sur ces questions à l’égard de la Malaisie et du Vietnam au sein du Partenaria­t transpacif­ique.

Le professeur de l’Université Laval reconnaît qu’il croyait lui aussi que Justin Trudeau et Li Keqiang allaient annoncer, lundi, le lancement de négociatio­ns de libre-échange entre leurs deux pays. «Ce n’est qu’une question de temps. L’intérêt des deux côtés pour une entente est là. »

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FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, en compagnie de son homologue chinois, Li Keqiang, lundi à Pékin
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