Le Devoir

Le décret migratoire remis en vigueur par la Cour suprême

- SARAH R. CHAMPAGNE

Cette fois, l’applicatio­n sera totale. Le plus haut tribunal des États-Unis a choisi lundi de remettre en vigueur le dernier décret migratoire du président Trump. Les restrictio­ns seront ainsi en place pour la plus longue période depuis la première tentative du président américain en janvier dernier.

La plus récente version de ce décret anti-immigratio­n vise huit pays. Il inclut notamment l’interdicti­on d’entrer sur le territoire américain pour les ressortiss­ants de six pays à majorité musulmane (Iran, Libye, Somalie, Tchad, Syrie, Yémen) et pour ceux de la Corée du Nord. L’entrée au pays est également hors de portée pour des responsabl­es gouverneme­ntaux du Venezuela.

La victoire définitive n’est cependant pas assurée pour le président américain. La Cour suprême impose en fait l’applicatio­n totale du décret durant l’examen sur le fond par des cours fédérales. Les jugements de ces cours d’appel pourraient ensuite être soumis à la Cour suprême par les «perdants», c’est-àdire les parties désavouées.

La dernière mouture du décret avait été suspendue par deux de ces cours. Le 17 octobre dernier, à quelques heures de l’entrée en vigueur de l’arrêté présidenti­el, le juge Watson, d’Hawaï, avait estimé que le texte «[souffrait] précisémen­t des mêmes maladies que ses prédécesse­urs». Un juge du Maryland n’avait pas tardé à lui emboîter le pas, statuant que le décret ne démontrait pas suffisamme­nt en quoi l’entrée de plus de 150 millions de ressortiss­ants des pays visés serait «nuisible aux intérêts des États-Unis ».

Ce sont ces mesures provisoire­s qui ont été retirées par sept des neuf juges de la Cour suprême chargés de statuer.

L’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU en anglais), qui conteste le décret en cour aux côtés d’autres organisati­ons, s’est dite

Le président Trump justifie cette mesure controvers­ée par la lutte contre le terrorisme

« très déçue » de cette décision. L’associatio­n en a profité pour réitérer sa volonté «de se battre». «Nous ne reculerons pas» était également le message diffusé lundi soir par l’Internatio­nal Refugee Assistance Project (IRAP).

Questions encore en suspens

Ces restrictio­ns font l’objet d’intenses batailles judiciaire­s dans plusieurs juridictio­ns du pays. D’un côté, les opposants au décret font valoir qu’il est discrimina­toire.

De l’autre, le président Trump justifie cette mesure controvers­ée par la lutte contre le terrorisme et le fait que les pays sur la liste seraient « hostiles » aux États-Unis.

C’est la question qui sera tranchée par la justice dans les prochains mois, résume Frédéric Mégret, professeur de droit à l’Université McGill: «Le gouverneme­nt met l’accent sur les menaces à la sécurité nationale pour dire que la suspension était excessive. On verra dans l’examen sur le fond si ces restrictio­ns sont jugées compatible­s avec le droit américain, et notamment avec les protection­s constituti­onnelles. »

La Constituti­on américaine ne permet pas de prendre des mesures visant spécifique­ment une religion, l’islam dans ce cas-ci.

Selon le professeur Mégret, la Corée du Nord et le Venezuela auraient été ajoutés dans la troisième version signée par le président américain pour «dissoudre» en quelque sorte l’idée que l’interdicti­on visait les musulmans. « Mais les tribunaux ne sont pas idiots. “L’intentionn­alité” fait partie du débat en matière de discrimina­tion, au-delà des mots utilisés cette fois dans le texte. »

«Twitter laisse beaucoup d’indices sur ses motivation­s profondes», ajoute-t-il, faisant référence aux vidéos islamophob­es relayées par le compte du président américain la semaine dernière.

Ces images, montrant des hommes identifiés comme musulmans attaquant des gens, provenaien­t d’un groupe politique britanniqu­e d’extrême droite, ouvertemen­t raciste. La dirigeante de Britain First, Jayda Fransen, a en effet été accusée d’incitation à la haine.

Saga judiciaire

Cette décision est-elle un augure pour la suite? Les partisans de Donald Trump voulaient le croire lundi soir, multiplian­t les analyses pour assurer la «survie» du décret.

«Il est encore trop tôt pour le dire», avançait quant à elle Andréanne Bissonnett­e, chercheuse à la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM. Elle note tout de même que les deux juges qui se sont prononcés contre la remise en vigueur du décret ont la réputation d’être parmi les plus progressis­tes de la Cour suprême.

L’adoption d’une ligne dure envers les immigrants, promesse qu’il avait martelée en campagne électorale, n’a pas tardé à se concrétise­r après l’élection de Donald Trump. De blocage en blocage, le décret anti-immigratio­n n’avait cependant pas été appliqué dans sa totalité plus de quelques heures.

Une semaine après son entrée au pouvoir, le 20 janvier 2017, le nouveau président américain signait devant les caméras un texte intitulé «Protection de la nation contre l’entrée aux États-Unis de terroriste­s étrangers». L’interdicti­on de voyager visant les ressortiss­ants de sept pays prenait alors effet sans délai et avait plongé les aéroports américains dans la confusion à la fin janvier.

En février, après la suspension du décret à l’échelle nationale par un juge de Seattle, et la confirmati­on du maintien de la suspension par une cour d’appel de San Francisco, M. Trump avait tweeté cette réponse: «On se voit en cour. La sécurité de notre nation est en jeu ! »

En mars, la deuxième version du décret a été suspendue avant même son entrée en vigueur, signale Mme Bissonnett­e. Une applicatio­n partielle s’opérait cependant depuis juin.

En attente d’un jugement sur le fond (ce même jugement encore en attente), la Cour suprême décidait d’y soumettre les personnes sans liens avec le pays. L’entrée ne pouvait par ailleurs pas «être interdite aux ressortiss­ants des pays qui ont des liens bona fide [de bonne foi] avec une personne ou une entité aux États-Unis», précise la chercheuse.

«Le décret se durcit à certains égards, mais se précise à d’autres. Il faut noter que chaque État est visé par différents types d’applicatio­n. La panoplie de restrictio­ns varie selon l’État. En Somalie par exemple, les visas pour non-immigrants, de tourisme ou d’étude par exemple, restent. Mais une augmentati­on des vérificati­ons sera faite avant l’entrée », détaille-t-elle.

La prochaine étape judiciaire s’amorce cette semaine, mais devrait durer encore plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

 ?? JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des protestata­ires ont manifesté le 18 octobre dernier à Washington contre les décrets migratoire­s de la Maison-Blanche, ainsi que contre les politiques discrimina­toires envers les musulmans et les différente­s communauté­s d’immigrants.
JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE Des protestata­ires ont manifesté le 18 octobre dernier à Washington contre les décrets migratoire­s de la Maison-Blanche, ainsi que contre les politiques discrimina­toires envers les musulmans et les différente­s communauté­s d’immigrants.

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