Davie a le droit de vivre !
Combien de manifestations faudra-t-il faire avec le premier ministre du Québec en tête pour forcer, faute de les convaincre, les politiciens fédéraux à soutenir notre industrie navale? Après tout, les travailleurs québécois ont autant le droit de construire des navires que ceux de la très puissante famille Irving.
En 2011, le gouvernement Harper accordait à deux chantiers maritimes des contrats totalisant 33 milliards pour la construction de bâtiments destinés à la Marine royale canadienne. Malgré l’implication de SNC-Lavalin dans un consortium désireux de relancer le chantier de la Davie, à Lévis, le gouvernement Harper a complètement exclu celui-ci de ses choix sans fournir de motif. Sous couvert d’une recommandation en ce sens d’un comité d’experts, c’est la très puissante famille Irving qui a raflé les trois quarts du pactole destiné à la construction de 12 frégates et de 3 contre-torpilleurs, de quoi donner du travail à quelques milliers d’ouvriers pendant trente ans en Nouvelle-Écosse, dans la circonscription du ministre de la Défense du moment, Peter Mackay.
Peu de temps plus tard, sans surprise, on apprenait que SNC cédait le chantier québécois à un groupe de Grande-Bretagne, Zafiro Marine, lui-même propriété de Z Offshore Management, société enregistrée dans le paradis fiscal des îles Vierges britanniques. N’empêche que, depuis ce temps, le chantier de Lévis se maintient à flot, notamment grâce à l’obtention du contrat de construction de deux traversiers commandés par Québec et, plus récemment par la transformation d’un porte-conteneurs, l’Astérix, en navire de ravitaillement loué pour cinq ans à la marine au prix de 587 millions.
Or, si Chantier Davie a pu réaliser ce dernier projet avant de mettre à pied les centaines d’ouvriers qui y travaillaient, c’est parce que le gouvernement conservateur a senti la soupe chaude quelques jours avant le déclenchement des élections de 2015, et qu’il a cédé aux pressions du Québec.
Comme il fallait s’y attendre, la famille Irving a encore une fois mis tout son poids dans la balance pour contrecarrer les plans de la Davie en invoquant le fait qu’elle pouvait faire beaucoup mieux, pour beaucoup moins cher et en beaucoup moins de temps. Mais l’urgence électorale a fait la différence.
À l’arrivée des libéraux au pouvoir, le projet a tout de même failli échouer, encore une fois à cause d’Irving, dont on connaît l’influence auprès des politiciens. Devant le risque d’échec imminent, un très haut dirigeant de la marine, le vice-amiral Mark Norman, a même été suspendu après avoir été soupçonné de transmettre des renseignements confidentiels à la direction de la Davie dans le but de faire aboutir le projet jugé urgent pour la marine. Une affaire qui n’est toujours pas réglée.
Aujourd’hui, la livraison de l’Astérix, dont une partie des travaux fut effectuée dans un chantier finlandais pour respecter l’échéance et le coût, est la preuve que la Davie est capable de rendre la marchandise. Malheureusement, les libéraux comme les conservateurs avant eux font la sourde oreille, comme ce fut le cas pour Bombardier. Une des raisons tient sans doute à la propriété de l’entreprise, qui paraît assez nébuleuse.
Si le gouvernement du Québec veut pérenniser les activités de ce chantier majeur pour la région de Québec, ses travailleurs et les dizaines de fournisseurs locaux, il doit travailler de concert avec l’entreprise pour en simplifier la structure de propriété, la rendre beaucoup plus transparente et, bien sûr, étrangère aux paradis fiscaux. Il y a des limites au masochisme des contribuables d’ici.
Ces corrections apportées, il ne fait aucun doute qu’Ottawa doit soutenir l’emploi dans l’industrie maritime au Québec autant qu’en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse. Chantier Davie est le plus gros chantier au pays et les travailleurs spécialisés de la région ont droit à leur part des dizaines de milliards de dépenses fédérales en approvisionnements structurants.
Dans un rapport rendu public en juin dernier, le Directeur parlementaire du budget à Ottawa calculait que les bâtiments qui seront construits par Irving coûteraient 2,4 fois plus cher que le prix prévu à l’origine par les conservateurs, soit 61 milliards au lieu de 25 milliards. Et les travaux ne sont même pas commencés !
Dans le programme initial, Ottawa avait prévu qu’en plus de ces contrats mirobolants, deux autres petits milliards iraient à la construction de bâtiments de plus petite taille destinés à la recherche et au sauvetage. Voilà l’occasion pour Justin Trudeau de corriger une partie de l’erreur magistrale commise de façon délibérée par les conservateurs.