Le Devoir

Il faut moderniser la charte de l’Université de Montréal

- PIERRE G. VERGE Président du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal (FNEEQ-CSN)

L’Université de Montréal, souhaitant moderniser la charte dont découle son fonctionne­ment, a sollicité le dépôt à l’Assemblée nationale du projet de loi privé 234, lequel sera étudié mercredi en commission parlementa­ire. La controvers­e que soulève toujours cette démarche laisse malheureus­ement dans l’ombre plusieurs questions. Nous, les chargées et chargés de cours de l’Université*, croyons donc utile de faire connaître notre point de vue. Après tout, nous sommes quelque 2500, et nous donnons la moitié des cours de premier cycle et un nombre grandissan­t de cours des cycles supérieurs.

Bien qu’on doive reprocher à la direction de l’Université d’avoir tenté de mener sa démarche tambour battant (ce contre quoi la communauté universita­ire s’est élevée avec succès), sa volonté de moderniser sa charte répond à une nécessité certaine. Non seulement la dernière mise à jour de la charte date de 1967, mais plusieurs groupes de la communauté universita­ire réclament depuis longtemps sa modificati­on, à commencer par nous, qui voulons jouir de droits politiques qui correspond­ent à notre rôle. Or, parmi les propositio­ns de modificati­on, plusieurs ouvrent la porte à une représenta­tion (la nôtre et celle d’autres groupes) nettement plus équitable dans les instances.

Rappelons que la plupart des modificati­ons, adoptées au long de six séances de l’assemblée universita­ire (AU), ne font que confirmer des pratiques, alors que d’autres ont été abandonnée­s en faveur du statu quo. En fin de compte, le projet de loi change peu l’équilibre des pouvoirs (entre les instances). Nous croyons même que celui-ci aurait pu être amélioré si une partie des professeur­s ne s’étaient pas exclus des débats à l’AU.

Tout préoccupés que nous en soyons, nous ne voyons pas exactement en quoi la charte modifiée menacera la collégiali­té, ainsi que l’annoncent les détracteur­s du projet. Il aurait été préférable que ceux-ci, plutôt que de jeter les hauts cris, se joignent à nous pour faire en sorte que la mise à jour de la charte, combinée à la révision annoncée des statuts de l’Université, donne naissance à une collégiali­té véritable, une collégiali­té qui inclut pertinemme­nt toute la communauté universita­ire et qui intègre pleinement les chargées et chargés de cours aux assemblées et conseils qui sont au centre de la mission d’enseigneme­nt.

Le syndicat des professeur­s de l’Université prétend, sans véritablem­ent justifier son assertion, que la nouvelle charte portera atteinte aux libertés «fondamenta­les» du corps enseignant. À notre avis, les atteintes que nous subissons (comme d’autres groupes de l’Université) sont rarement liées au texte même de la charte, modifié ou pas. Généraleme­nt d’un autre ordre, elles tiennent surtout à des abus gestionnai­res, lesquels découlent le plus souvent d’une vision étriquée du droit de gérance.

Sur les intérêts particulie­rs

C’est à juste titre qu’on craint l’influence potentiell­e du monde des affaires sur le conseil d’administra­tion d’une université, ou qu’on s’inquiète des risques de marchandis­ation de l’éducation. L’université est une institutio­n publique et un bien commun, et, tout en se gardant de se replier sur elle-même, elle doit se mettre à l’abri des intérêts particulie­rs. Cependant, le problème n’est pas qu’il y ait au conseil des gens d’affaires, mais qu’il y en ait trop. Il est donc essentiel que le choix de ses administra­teurs externes reflète la diversité de la société et celle des secteurs profession­nels. Or le projet de loi est trop imprécis sur cette question.

Corollaire­ment, il n’y a pas lieu d’opposer la présence au conseil des administra­teurs externes et internes. Si les premiers enrichisse­nt le conseil de leurs compétence­s et de leur point de vue, les seconds y apportent la connaissan­ce fine du monde universita­ire, de même que le pouls de sa communauté. Ni les uns ni les autres ne font nécessaire­ment bloc, et ils peuvent, étant choisis par les bons mécanismes et se complétant, adhérer à une vision commune d’une université indépendan­te et au ser vice du savoir. Cependant, pour garantir plus assurément l’équilibre des délibérati­ons du conseil, le projet de loi devrait, plutôt que de donner la majorité aux externes, égaliser le nombre des internes et des externes.

En somme, comme les autres membres de la communauté universita­ire qui, refusant la politique de la chaise vide, ont participé aux débats, nous croyons que le projet de loi bonifie partiellem­ent la charte. Nos propositio­ns d’amendement­s visent à mieux équilibrer et diversifie­r la compositio­n du conseil de l’université. Enfin, nous appelons de nos voeux une loicadre qui, à la défense vigoureuse de l’enseigneme­nt supérieur et à l’écoute des citoyens, jugulerait les risques de dérive autoritair­e ou néolibéral­e dans nos université­s.

Nous ne voyons pas exactement en quoi la charte modifiée menacera la collégiali­té, ainsi que l’annoncent les détracteur­s du projet

* À l’Université de Montréal, la désignatio­n «chargé-e de cours» recouvre, outre celui de chargé-e de cours au sens strict, plusieurs titres d’emploi d’enseignant-e universita­ire contractue­lle: accompagna­teur-trice et coach de musique, chargé-e de formation pratique, superviseu­r-e de stages et chargé-e de clinique (en médecine dentaire, en optométrie et en orthophoni­e-audiologie).

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