Le Devoir

Pour une procédure de renvoi du Canada plus juste et plus humaine

- ME GUILLAUME CLICHE-RIVARD Vice-président de l’Associatio­n québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigratio­n (AQAADI) et chargé de cours à la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM

Le triste sort réservé à la famille sri-lankaise Lawrence renvoyée du Canada dimanche dernier (3 décembre) a récemment mis en relief le profond manque d’humanisme et de compassion découlant des procédures de renvoi du Canada. Galvanisée par plusieurs interventi­ons politiques et par l’appui de la société civile, cette famille, décrite comme des immigrants «parfaits» et «modèles», espérait jusqu’à la toute dernière minute une interventi­on politique qui ne sera malheureus­ement jamais venue, révélant ainsi au grand jour un mécanisme de renvoi du Canada en urgent besoin de réforme.

Périodique­ment, les médias publient ces histoires sur des femmes, hommes et enfants visés par une mesure de renvoi et sollicitan­t le soutien de la population afin de générer une certaine pression politique pour permettre l’annulation ou la suspension d’une procédure de renvoi. Parfois, ils ont gain de cause; souvent, leurs appels à l’aide sont ignorés.

Chaque année, ce sont plus de 6000 d’entre eux qui sont renvoyés du Canada, et ce, souvent dans l’indifféren­ce et le silence le plus total. Chaque année, plusieurs enfants canadiens sont séparés de leurs parents et confiés à la Direction de la protection de la jeunesse, des unions (mariages ou relations) sont brisées, des emplois sont perdus, des organisati­ons perdent d’importants membres ou bénévoles, des commerces ferment boutique, etc.

Chaque année, Ottawa consacre des centaines de milliers de dollars pour assurer l’exécution du renvoi de personnes, qui, pourtant, contribuen­t grandement à la société canadienne, paient leurs impôts, s’y intègrent, y étudient dans des domaines prisés et y travaillen­t dans des emplois demandés ou spécialisé­s. Chaque année, le Canada renvoie des milliers de personnes sans considérat­ion aucune pour les motifs humanitair­es et la compassion qui militeraie­nt en faveur de l’annulation de ces renvois.

En effet, si la procédure de renvoi du Canada comprend une certaine évaluation des risques à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes visées, la loi ne commande toutefois pas d’évaluation des motifs humanitair­es ou de la compassion soulevés par leurs circonstan­ces particuliè­res et leurs caractéris­tiques personnell­es avant un renvoi.

Ainsi, bien que la Loi sur l’immigratio­n et la protection des réfugiés du Canada prévoie la possibilit­é pour une personne de déposer une demande de résidence permanente au Canada sur la base de considérat­ions d’ordre humanitair­e, cette seule demande ne suspend ni n’arrête les procédures de renvoi en cours à l’encontre d’une personne. Or, les délais de traitement d’une telle demande étant aujourd’hui affichés à 29 mois, il est inutile de préciser qu’il n’existe aucune garantie qu’une telle demande sera étudiée à temps et il ne fait aucun doute que la grande majorité de ces renvois sont exécutés sans une quelconque évaluation des motifs humanitair­es en jeu.

Clarifier les procédures

Soyons clairs. Les soussignés ne disent pas qu’aucun renvoi du Canada ne devrait avoir lieu, mais ils disent toutefois que la loi devrait être plus explicite quant à la discrétion des agents de renvoi, à savoir qu’un renvoi ne devrait pas avoir lieu tant et aussi longtemps qu’un décideur compétent ne s’est pas prononcé sur des motifs humanitair­es tels que l’intégratio­n profession­nelle et économique de la personne, ses liens sociaux et familiaux au Canada, l’intérêt supérieur des enfants touchés, la détresse psychologi­que infligée à cette personne ou à son entourage, ses difficulté­s de retour, etc. Ce sont ces renvois, d’applicatio­n immédiate, sans considérat­ion aucune pour la compassion et les motifs humanitair­es soulevés, qui choquent profondéme­nt la société civile canadienne et qui entachent notre vision du Canada.

Le gouverneme­nt actuel se targue de mettre en avant la défense des droits et libertés des plus vulnérable­s de notre société, et de s’en faire le porte-étendard. Ce même gouverneme­nt affiche une ouverture marquée pour l’accueil des population­s immigrante­s au Canada et fait également la promotion de ce message sur toutes les tribunes nationales, régionales et internatio­nales. Or, lorsque vient le temps d’analyser les procédures et l’exécution des mesures de renvoi du Canada, on en vient rapidement à constater que l’humanisme et la compassion ont depuis longtemps disparu et sont oubliés, et qu’il est grandement temps de réformer ce processus dépassé.

La présente lettre est appuyée par le Conseil d’administra­tion de l’AQAADI. On trouvera la liste des signataire­s sur nos plateforme­s numériques.

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DARREN CALABRESE LA PRESSE CANADIENNE Les renvois d’applicatio­n immédiate, sans considérat­ion aucune pour la compassion et les motifs humanitair­es soulevés, entachent notre vision du Canada.

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