Le Devoir

Les revenus de l’informatio­n

- PIERRE TRUDEL

La fermeture de plusieurs journaux annoncée la semaine dernière n’est que le plus récent chapitre de la reconfigur­ation du paysage médiatique. Les mesures annoncées par la ministre québécoise de la Culture afin d’aider les médias à réussir leur transforma­tion vers le numérique sont un pas dans la bonne direction. Mais elles ne font rien pour ramener vers les médias d’informatio­n les revenus désormais captés par les plateforme­s comme Facebook et Google. C’est l’érosion accélérée de la base de financemen­t des médias qui créent et publient des contenus originaux qu’il importe d’arrêter.

Les informatio­ns qui circulent en ligne sont valorisées non plus en fonction de leur capacité à générer des auditoires, mais plutôt en fonction de ce qui accroche l’attention des internaute­s. Le système médiatique génère désormais des revenus par l’attention des consommate­urs plutôt que par la satisfacti­on des besoins des citoyens.

Les médias « traditionn­els » dépensent et investisse­nt pour produire l’informatio­n alors que les revenus sont captés par les plateforme­s en ligne sur lesquelles le public «partage» les contenus. Les plateforme­s perçoivent les revenus publicitai­res alors que les médias, pourtant à la source de ces contenus, reçoivent une part dérisoire. Le démantèlem­ent de l’environnem­ent médiatique résultant de la place prise par les intermédia­ires d’Internet requiert une mise à niveau du cadre juridique des médias numériques.

Car dans ce merveilleu­x monde en réseau, les nouvelles, les enquêtes journalist­iques, les analyses et les autres informatio­ns demeurent produites par les médias dits traditionn­els. Ce qui est «partagé» dans les plateforme­s des réseaux sociaux provient en grande majorité de ces médias traditionn­els. Les journalist­es de ces médias, de moins en moins nombreux, continuent pour l’heure de produire des nouvelles, des enquêtes et des analyses. Ces informatio­ns demeurent prisées par le public. Mais elles sont de plus en plus consommées sur les plateforme­s qui, elles, engrangent les revenus publicitai­res désormais encaissés en fonction de l’attention que les internaute­s attachent aux parcelles de contenu sans avoir à les financer.

Or, les «consommate­urs» sont aussi des citoyens. Ils ont le droit d’exiger que les revenus produits par leur attention soient canalisés de manière à assurer la disponibil­ité d’informatio­n libre et produite selon une pluralité de perspectiv­es.

Les décideurs publics ne peuvent se limiter à regarder béatement le transfert vers les plateforme­s intermédia­ires d’Internet des revenus qui assuraient la production des informatio­ns. L’émiettemen­t de la base financière des médias découlant des transforma­tions numériques requiert des politiques qui assureront la viabilité des capacités d’informer de façon indépendan­te et rigoureuse sur les enjeux auxquels nos sociétés sont confrontée­s.

Devant les transforma­tions radicales dans la façon dont les médias sont consommés, des politiques publiques doivent garantir la base financière des acteurs qui produisent de l’informatio­n originale. Il faut assurer une répartitio­n équitable des revenus entre les médias producteur­s de contenu éditorial et les plateforme­s intermédia­ires par lesquelles transitent de plus en plus les revenus publicitai­res.

Lorsqu’on constate que l’environnem­ent technique et ses régulation­s par défaut ne répartisse­nt pas les ressources selon les besoins d’une informatio­n libre et fondée sur des méthodes offrant des garanties de rigueur, les politiques publiques doivent rétablir l’équilibre. À moins d’affirmer que les citoyens n’ont que faire des informatio­ns de qualité, il faut reconnaîtr­e que le fonctionne­ment des environnem­ents numériques génère des distorsion­s dans l’allocation des ressources. Il est irresponsa­ble de s’en tenir à qualifier les modèles de fonctionne­ment des médias de « désuets ».

La régulation étatique doit assurer la recanalisa­tion des dépenses que les Canadiens consacrent à s’informer vers la production de contenus originaux. Du fait de la numérisati­on, une part croissante de ces dépenses va dorénavant aux plateforme­s en ligne qui commercial­isent l’attention des internaute­s auprès des acteurs du marché publicitai­re. Les équilibres de nos sociétés démocratiq­ues sont tributaire­s de la disponibil­ité d’informatio­n de qualité. À défaut d’encadrer les mutations qui érodent les bases de revenus des médias, les «fausses nouvelles» et autres effets pervers n’ont pas fini de se faire sentir.

Des politiques publiques doivent garantir la base financière des acteurs qui produisent de l’informatio­n originale

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