Honduras : les clés d’une présidentielle sous tension
Un président sortant candidat malgré la Constitution, un dépouillement très lent, des accusations de fraude: au Honduras, ce cocktail explique les manifestations de colère et de violence, alors que la présidentielle du 26 novembre n’a toujours pas de vainqueur officiel.
Lundi, les autorités électorales ont annoncé avoir enfin fini de dépouiller les bulletins (à 99,96%), mais ont refusé de désigner un vainqueur en raison de possibles recours.
Les résultats donnent le président sortant de droite, Juan Orlando Hernandez, en tête avec 42,98% des voix, contre 41,39% pour l’opposant de gauche et présentateur de télévision Salvador Nasralla. Ce dernier a déclaré à l’AFP qu’il ne pourra «jamais accepter» ces résultats, car «ils ne sont ni officiels ni définitifs».
Avant même sa tenue, le scrutin était contesté en raison de la candidature du président sortant. La Constitution interdit deux mandats consécutifs, mais M. Hernandez s’est appuyé sur une décision de la Cour suprême l’autorisant à se représenter.
Les détracteurs du chef de l’État l’accusent d’avoir pris le contrôle de cette institution.
Pour le sociologue et chercheur de l’Université nationale Eugenio Sosa, la tension autour du scrutin est due au fait que «la [possibilité de] réélection a été imposée, puis validée par un Tribunal suprême électoral (TSE) en qui une grande partie de la société ne croit plus ».
«Le processus électoral actuel est nul à cause des manipulations du tribunal électoral et la démocratie n’existe plus au Honduras Ramon Custodio, ex-commissaire national aux droits de l’homme
Appel à la prudence
Dès la nuit du vote du 26 novembre, beaucoup s’étaient étonnés du temps pris pour annoncer des résultats partiels. Et si les premiers chiffres donnaient M. Nasralla en tête, avec presque cinq points d’avance, au fil d’un dépouillement progressant au compte-gouttes, M. Hernandez a rattrapé son retard puis viré en tête. Immédiatement, les partisans de M. Nasralla sont descendus dans la rue pour crier à la «fraude» et au «vol» de cette élection.
La mission d’observateurs de l’Union européenne a appelé lundi le TSE à la prudence: «S’il vous plaît, ne proclamez pas de vainqueur, le processus n’est pas terminé», a déclaré la coordinatrice de la mission, l’eurodéputée portugaise Marisa Matias, lors d’une conférence de presse.
Les accusations de fraude ne sont pas nouvelles: lors du scrutin précédent, en 2013, la victoire de M. Hernandez face à Xiomara Castro avait été critiquée par ses adversaires, qui l’avaient attribuée à sa mainmise sur le TSE.
Cette fois, l’opposition accuse le TSE d’avoir falsifié des procès-verbaux pour favoriser le président sortant et dénonce les nombreuses pannes informatiques enregistrées dans le système. M. Nasralla affirme que plus de 5100 procès-verbaux ont été modifiés afin d’«inverser les résultats» et exige que les bulletins correspondants soient recomptés.
Pour Ramon Custodio, excommissaire national aux droits de l’homme, «le processus électoral actuel est nul à cause des manipulations du tribunal électoral et la démocratie n’existe plus au Honduras ».
Ce que fait l’opposition, selon lui, «c’est prouver comment la fraude a été réalisée et c’est possible techniquement de le faire, si le tribunal remet toutes les informations qu’elle lui réclame ».
Ce climat de suspicion a entraîné de vastes manifestations d’opposants au président Hernandez et des affrontements violents avec la police. Au moins une jeune femme a été tuée et des commerces saccagés dans plusieurs villes du pays.
En réponse, le gouvernement a décrété vendredi l’état d’urgence pour dix jours, assorti d’un couvre-feu. Mais dimanche soir, deux policiers ont été abattus dans le département d’Olancho (est) par des inconnus qui circulaient en voiture malgré le couvrefeu, a indiqué à l’AFP le porteparole de la police, Jair Meza.
Derrière le mouvement de colère, il y a «une population mobilisée, qui ne reconnaît pas le président comme vainqueur, qui réclame la victoire de Nasralla et rejette les institutions », explique M. Sosa.
Mais cela révèle aussi « le mécontentement populaire face à la corruption, le chômage, la violence et les carences en matière d’éducation et de santé» dans ce pays pauvre miné par les gangs et avec l’un des plus forts taux d’homicide au monde, ajoute le sociologue.
Et même «avec l’usage de la force et le contrôle des institutions, notamment de l’armée et de la police, un président avec une légitimité détériorée aura moins de soutien et sa capacité à gouverner sera en danger », souligne Eugenio Sosa.