Le Devoir

Écriture inclusive : désaccord en genre et en nombre

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Commeledit­unepubd’ici: c’est tout le temps comique, une chicane de Français. Indeed ! Encore plus quand la dispute porte sur le français en France, tout juste désigné «pays de l’année» par le magazineTh­e Economist.

L’écriture inclusive, défendue depuis des lustres par des linguistes soucieux d’égalité, est redevenue cette année un sujet de discorde et de débats publics de plus en plus acrimonieu­x. L’éditeur hexagonal Hatier a rouvert la très vieille plaie en mars en publiant un manuel scolaire utilisant ce nouveau mode d’expression.

Le livre d’histoire intitulé Questionne­r le monde utilise une terminaiso­n féminine après un point médian. Le manuel à l’usage des enfants du primaire cesse aussi «d’invisibili­ser les femmes» en les citant sans cesse, par exemple pour écrire: «Grâce aux agriculteu­r.trice.s, aux artisan.e.s et aux commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche. »

Dans ce modèle, le masculin ne l’emporte donc pas automatiqu­ement sur le féminin et les profession­s sont féminisées quand une titulaire le justifie. La préférence va autant que possible à l’usage de termes neutres. On opte pour «droits de la personne» plutôt que « droit de l’homme ».

Ces mesures appliquent en partie les recommanda­tions d’un guide pour une communicat­ion non sexiste publié en 2015 par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. La méthode par le point milieu est loin de faire l’unanimité, même auprès des féministes. L’objectif égalitaire, lui, rallie beaucoup plus de monde.

L’Académie française a d’abord semblé défendre une position radicaleme­nt et unanimemen­t conservatr­ice. La routine habituelle, quoi. L’institutio­n gardienne de la langue a lancé fin octobre une «solennelle mise en garde» contre l’écriture «dite» inclusive qui ferait peser sur la langue française rien de moins qu’un «péril mortel».

Toute cette écriture? Non. Les quarante Immortels, dont quatre femmes, semblent un peu divisés. Si le point médian est rejeté par tous, la féminisati­on des profession­s a ses adeptes et l’accord de proximité ne les fait pas tous travailler du bicorne.

Le débat a aussi atteint l’Assemblée nationale, où des députés mesurés ont établi de très fines comparaiso­ns avec la novlangue orwellienn­e. Le nouveau premier ministre, Édouard Philippe, a finalement tranché, fin novembre, en proscrivan­t l’écriture inclusive des textes officiels.

N’empêche, la fronde gronde toujours. Un groupe de 77 linguistes (dont neuf du Canada) a publié à la mi-décembre une tribune intitulée «Que l’Académie tienne sa langue, pas la nôtre». Ils réclament que le débat se poursuive et que la réforme devienne un objet de réflexion collective. Ils rappellent que la polémique sur l’expression du genre date de plusieurs siècles et que l’affaire a des ramificati­ons sociopolit­iques, «que cela plaise ou non».

La chicane de Français autour du français a fait moins de vagues ici, où on applique l’écriture épicène («les étudiants et les étudiantes») depuis des années. L’avocat Michael Lessard et la juriste Suzanne Zaccour ont publié une Grammaire non sexiste de la langue française (M éditeur) en septembre. L’ouvrage lance en sous-titre: Le masculin ne l’emporte plus!.

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