Le Devoir

La Pologne défie l’Union européenne

Des réformes judiciaire­s controvers­ées ont créé des tensions entre le pays et Bruxelles

- MICHEL VIATTEAU à Varsovie

La Pologne, pour qui l’adhésion à l’Union européenne en 2004 avait comblé un ancien rêve, adopte désormais une posture de défi à son égard, sous un gouverneme­nt élu par ceux qui refusent que «Bruxelles prenne la place de Moscou ».

Comment la Pologne, où 88 % des habitants approuvent l’appartenan­ce de leur pays à l’UE, source d’importante­s subvention­s, en est-elle arrivée là? Des experts offrent une série d’explicatio­ns historique­s, politiques et économique­s, tout en soulignant qu’il ne s’agit nullement d’une rupture complète.

L’abcès, vieux de plusieurs mois, a été crevé jeudi.

Réagissant à des réformes judiciaire­s controvers­ées, la Commission européenne a dégainé contre la Pologne l’article 7 du traité de l’UE, une procédure pouvant aller jusqu’à priver le pays de ses droits de vote dans l’UE.

Quelques heures plus tard, le président polonais, Andrzej Duda, annonçait qu’il avait décidé de promulguer les deux dernières réformes critiquées par Bruxelles. Ces lois situent le système judiciaire sous le contrôle du pouvoir exécutif et de la majorité parlementa­ire.

Le gouverneme­nt polonais, tout en répétant — comme la Commission — qu’il est disposé au dialogue, ne compte pas céder d’un pouce. Peutêtre parce que la Hongrie a promis de voter contre d’éventuelle­s sanctions au Conseil européen, ce qui les rendra inapplicab­les.

Élites néolibéral­es

Pour le politologu­e Kazimierz Kik, la Pologne, gouvernée depuis 2015 par les conservate­urs populistes de Droit et Justice (PiS), « n’est pas entrée en conflit avec l’Union, mais avec ses élites néolibéral­es, démocrates-chrétienne­s et sociales-démocrates, qui sont majoritair­es au Parlement européen et à la Commission».

Le conflit avec Bruxelles ne serait qu’un reflet de la politique intérieure, un prolongeme­nt du combat contre les libéraux ayant gouverné la Pologne et qui se sont retrouvés à Bruxelles, tels Donald Tusk, président du Conseil européen, ou la commissair­e au Marché intérieur, Elzbieta Bienkowska, selon l’universita­ire qui se définit comme «un homme de gauche favorable au PiS ».

En cela, le PiS se fait défenseur

des intérêts du grand nombre de Polonais qui n’ont pas profité directemen­t de l’intégratio­n européenne, voire se sont appauvris, la stratégie économique néolibéral­e ayant aggravé les écarts sociaux, affirme le professeur Kik à l’AFP.

Ce phénomène de mécontente­ment populaire n’est pas uniquement polonais, mais européen, voire mondial, dit-il, citant le Brexit et la victoire électorale de Donald Trump.

S’y ajoutent des divergence­s sur les problèmes de société, comme celui des réfugiés, l’avortement ou la fécondatio­n in vitro, une majorité des Polonais refusant des comporteme­nts largement adoptés en Occident et admis par l’UE.

Aux yeux du sociologue de gauche Slawomir Sierakowsk­i, le puissant chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, souvent présenté comme le stratège-décideur des conservate­urs, «ne nourrit pas de ressentime­nt envers l’Europe, mais il trouve que l’Europe s’est mise en travers de sa vision politique » de l’avenir de la Pologne.

Sierakowsk­i voit la cause profonde du conflit dans la mentalité conservatr­ice des Polonais catholique­s et le manque de traditions démocratiq­ues en Pologne, divisée au XIXe siècle et jusqu’en 1918 entre trois puissances voisines, puis gouvernée d’abord par l’autoritair­e maréchal Jozef Pilsudski, ensuite par le parti communiste soumis à Moscou.

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