Le président Kuczynski est menacé de destitution
Le président péruvien, Pedro Pablo Kuczynski, jouait jeudi sa survie politique face à un Parlement contrôlé par l’opposition: après y avoir répondu d’accusations de corruption liées à un scandale éclaboussant la région, il risquait d’être destitué dans la foulée par un vote.
«PPK», comme on le surnomme, deviendrait alors le premier chef de l’État débarqué pour ses liens avec Odebrecht, le géant du BTP brésilien, qui a reconnu avoir payé près de 5 millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l’État, alors ministre, entre 2004 et 2013.
«Je viens prouver mon innocence», a déclaré M. Kuczynski en ouverture de son discours. Durant près de deux heures trente, il a détaillé sa défense avec son avocat devant le Parlement unicaméral réuni en séance plénière. Son intervention était suivie d’un débat de plusieurs heures, chacun des 109 parlementaires présents souhaitant intervenir.
«Ce qui est en jeu, c’est la démocratie que le Pérou a eu tant de mal à récupérer», a-t-il ajouté, avant de demander «pardon» pour son manque de rigueur dans la déclaration de ses activités de l’époque.
«Le mal, vous ne me le feriez pas à moi, mais au Pérou », a conclu PPK, 79 ans, assurant être «un homme honnête» qui n’a «jamais reçu un pot-de-vin ».
Le président péruvien, qui a expliqué en détail, documents à l’appui, qu’aucun des paiements du groupe de bâtiment n’était illégal, est en poste depuis juillet 2016, après avoir battu de peu Keiko Fujimori, la fille de l’ex-chef de l’État Alberto Fujimori (1990-2000), emprisonné pour crime contre l’humanité et corruption. Elle dirige depuis l’opposition.
Le législateur de gauche Wilbert Rozas, a lancé les débats en affirmant que le président et son avocat « n’avaient rien tiré au clair» et a appelé à «nettoyer le pays» des corrompus.
Pour que le président soit destitué, il faut le vote favorable des deux tiers du Parlement, soit 87 voix sur 130. Cela apparaissait comme une formalité, 93 législateurs ayant approuvé l’ouverture du processus. Le parti de PPK ne compte que 17 sièges.
Dans ce cas, son premier vice-président, Martin Vizcarra, prendrait sa place jusqu’à la fin du mandat en cours, le 28 juillet 2021. Selon un récent sondage, 57% des Péruviens estiment que le président doit démissionner.
«Le sort du président Kuczynski est scellé», a déclaré à l’AFP l’analyste politique Luis Benavente.
Dans un message diffusé mercredi soir à la radio et à la télévision, M. Kuczynski a qualifié la procédure engagée contre lui de « coup d’État ».
Depuis le lancement du processus de destitution, la semaine dernière, l’inquiétude grimpe d’heure en heure. Les analystes préviennent que l’économie pourrait être «durement touchée» par cette instabilité politique, et l’Église péruvienne a appelé à éviter une amplification de la crise.
Ancien banquier de Wall Street âgé de 79 ans, M. Kuczynksi avait nié dans un premier temps tout lien avec Odebrecht, avant d’être démenti par l’entreprise elle-même. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, ce cousin du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard a occupé de nombreux postes à responsabilité durant sa carrière, passant du public au privé.
Le gigantesque scandale de corruption Odebrecht a touché, outre le Brésil et le Pérou, des pays comme l’Équateur, le Mexique, le Panama et le Venezuela.
La chef de l’opposition, Keiko Fujimori, est également sous le coup d’une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht. Appelée à témoigner devant le parquet mercredi, elle a demandé le report de son audition.
PPK n’est pas la seule personnalité, au Pérou, à être inquiétée par le dossier Odebrecht: l’exprésident Ollanta Humala (2011-2016) est en détention provisoire, accusé d’avoir reçu 3 millions de dollars lors de sa campagne électorale.
Un autre ancien président, Alejandro Toledo (2001-2006), est lui visé par un mandat d’arrêt et une demande d’extradition. Soupçonné d’avoir perçu 20 millions de dollars, il se trouve actuellement aux États-Unis.