Le Devoir

L’espérance de vie recule à nouveau aux États-Unis

- FRÉDÉRIC AUTRAN

L’explosion du nombre de surdoses, en particulie­r aux opiacés, explique en partie le nouveau recul de l’espérance de vie, du jamais vu depuis un demi-siècle. Les autorités sanitaires s’alarment.

C’est l’une des mesures clés du bien-être d’une nation. Après une baisse de 0,2 an en 2015, l’espérance de vie des Américains a de nouveau reculé de 0,1 an en 2016, passant de 78,7 à 78,6 ans. C’est la première fois depuis le début des années 1960 que les États-Unis connaissen­t deux années consécutiv­es de baisse. Conséquenc­e, notamment, de la crise des opiacés, qui continue de faire des ravages à travers le pays.

Selon les chiffres dévoilés jeudi par le Centre national de statistiqu­es sur la santé (NCHS), le nombre de surdoses de drogues et de médicament­s a fait un nouveau bond, passant de 52 400 en 2015 à 63 600 en 2016, soit une hausse colossale de 21%. Signe que le pic de l’épidémie, devenu un enjeu sanitaire national, est encore loin d’être atteint. Environ deux surdoses sur trois impliquaie­nt des opiacés, une catégorie de stupéfiant­s englobant des médicament­s antidouleu­r délivrés sur ordonnance, comme l’oxycontin et le fentanyl, ainsi que l’héroïne, souvent mélangée à des substances de synthèse.

«Nous devrions être réellement alarmés»

Si les experts reconnaiss­ent que d’autres facteurs contribuen­t sans doute à ce recul de l’espérance de vie (dont une baisse moins marquée des décès liés aux maladies cardiovasc­ulaires), les morts liées à une surdose d’opiacés semblent être le facteur déterminan­t. Les statistiqu­es le confirment d’ailleurs: le taux de mortalité des moins de 45 ans, principale­s victimes des surdoses, a augmenté, alors que celui des plus de 45 ans a diminué.

«Je n’ai pas tendance à faire des déclaratio­ns dramatique­s, mais je pense que nous devrions

être réellement alarmés, a déclaré Robert Anderson, directeur de la branche mortalité au sein du NCHS. Le problème des surdoses liées aux drogues et aux médicament­s est un problème de santé publique et nous devons nous y attaquer.» Fin octobre, après des mois de tergiversa­tion, Donald Trump a fait de la crise des opiacés une «urgence de santé publique », promettant d’y consacrer d’importants moyens. «Cela prendra plusieurs années, même des décennies, pour débarrasse­r notre société de ce fléau», déclarait-il alors. On estime qu’il y a entre 2 et 2,5 millions d’Américains dépendants aux opiacés, devenue la première cause de mortalité accidentel­le aux États-Unis.

Les morts du désespoir

Pour certains experts, les décès liés à la surconsomm­ation de drogue s’inscrivent dans un phénomène plus large. Celui qu’Anne Case et le Prix Nobel d’économie Angus Deaton, chercheurs à Princeton, ont baptisé les «Deaths of Despair», les «morts du désespoir ». Selon eux, la disparitio­n de nombreux emplois non qualifiés mais bien rémunérés au cours des dernières décennies, et plus encore lors de la crise de 2008, ont plongé une partie de la classe moyenne ouvrière américaine dans le désespoir. Avec, à la clé, une augmentati­on importante du nombre de décès liés aux surdoses, mais aussi à l’alcool et aux suicides.

Dans le détail, un garçon né l’an dernier aux États-Unis vivra en moyenne 76,1 ans, une fille 81,1 ans, soit cinq années de plus. À titre de comparaiso­n, l’espérance de vie en France s’élève à 79,3 ans pour les hommes et à 85,4 ans pour les femmes.

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