Trudeau et l’humanitarisme variable
Malgré un discours sans équivoque, les actions du gouvernement Trudeau concernant le rôle du Canada dans la sécurité internationale demeurent ambiguës. S’il cherche à retrouver son rôle clé en 2018, le gouvernement fédéral doit d’abord retirer son soutien direct à la monarchie saoudienne.
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement Trudeau fait miroiter la possibilité de redorer le blason canadien, une posture qui nous change de la politique Harper qui misait sur une position antagoniste sans grandes ambitions. Les conservateurs avaient d’ailleurs perdu la mise face au Portugal, en 2010, pour un siège au Conseil de sécurité des Nations unies. En septembre dernier, lors de son passage à l’organisation internationale, Justin Trudeau annonçait une renaissance du rôle canadien dans la sécurité mondiale.
Dans une conférence de presse en marge de son discours à l’Assemblée générale, Trudeau mettait l’accent sur son objectif de siéger à nouveau au Conseil de sécurité, organe central des Nations unies ayant pour mission le maintien de la sécurité mondiale. Affirmant que le monde gagnerait d’avoir une présence canadienne au Conseil, Trudeau restait évasif quant aux questions sécuritaires de l’heure, qu’on parle de la Corée du Nord ou des diverses crises migratoires qui marquent cette décennie.
Ces derniers jours, le premier ministre revenait à la charge avec un nouveau projet pour le Canada, soit celui de jouer le rôle de médiateur dans l’escalade des tensions sur la péninsule coréenne. Trudeau a fait mention de la possibilité d’user de l’influence canadienne sur Cuba, entre autres, ou encore de profiter du réchauffement des communications entre Ottawa et Pyongyang de ces derniers mois. Malgré le caractère louable de la tentative, il y a quand même lieu de se demander quel genre de pression le Canada arriverait à exercer sur la Corée du Nord, alors que le gouvernement américain n’arrive à rien sans passer par la Chine ou la Russie, desquelles la Corée du Nord est commercialement dépendante.
Crise humanitaire
La position canadienne quant à la sécurité internationale reste toutefois ambiguë vu le silence du gouvernement face à la crise humanitaire au Yémen. En guerre civile depuis 2015, le Yémen est devenu le théâtre d’une lutte de pouvoir meurtrière à la suite de l’intervention saoudienne. Dans la dernière année, la guerre a créé une crise humanitaire affectant plus de 20 millions de civils, selon les estimations onusiennes, causant plusieurs millions de déplacés internes vivant dans une situation de famine critique. Du côté du gouvernement Trudeau, par contre, il serait malencontreux de devoir critiquer les actions d’un allié, mais d’abord et surtout d’un excellent client. Le régime saoudien est en effet le plus grand acheteur de matériel militaire canadien après les États-Unis.
N’écoutant pas les appels de plusieurs ONG, dont Amnistie internationale, critiquant les violations des droits de la personne du régime saoudien, le gouvernement canadien a l’an dernier donné l’aval à un contrat élaboré par les conservateurs avec l’Arabie saoudite pour fournir une flotte de véhicules blindés légers à la monarchie arabe. Certains blindés, qualifiés par l’euphémisme «jeep» (un peu léger pour parler d’un véhicule avec canon monté en tourelle et armes de haut calibre) par Trudeau, sont peut-être déjà en service au Yémen.
En grand défenseur de la sécurité mondiale, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion, s’excusait en disant qu’il n’y avait pas de preuve concrète que les véhicules canadiens étaient utilisés pour commettre des violations des droits de la personne ou du droit humanitaire. Bien entendu, les observations onusiennes quant au fort risque de commission de crimes de guerre par l’armée saoudienne au Yémen ne sont pas des preuves suffisantes. La présente ministre Freeland demeure tout aussi évasive, disant que le Canada prend la question très au sérieux et promettant… une étude sur l’usage desdites armes par l’Arabie saoudite. Mais, une fois les armes livrées, il y a tout de même lieu de se questionner sur les actions que peut réellement prendre Freeland pour empêcher leur usage contre des populations civiles.
Questionné l’an dernier au sujet du contrat, Trudeau défendait la décision en disant que le Canada devait s’assurer d’être respecté sur la scène internationale, et donc que le respect du contrat était une question de principe… Malgré cela, cette année, au plus fort de la crise humanitaire au Yémen, Trudeau a cherché à définir le Canada comme un champion de l’humanitaire. Et si, pour l’année à venir, le Canada cherchait plutôt à être célébré pour son respect indéfectible des droits de la personne, de la sécurité et de la légalité internationale? Ce rôle de leadership commence là où le soutien du gouvernement Trudeau pour la monarchie saoudienne s’arrête.