Le Devoir

L’urbanisme de quartier, par des yeux d’enfants

L’artiste Natacha Clitandre propose une Petite-Patrie vue par sa petite patrie

- CATHERINE LALONDE

«J’essaie d’emprunter les regards des autres», explique joliment au Devoir Natacha Clitandre. Cette artiste visuelle qui se concentre sur le relationne­l, l’échange entre les gens, les nouveaux médias, mais aussi sur la cartograph­ie, la géographie et l’urbanisme des villes vient de mettre la dernière main à son plus récent projet, La PetitePatr­ie par sa petite patrie. En discutant et en se promenant dans les rues du quartier Petite-Patrie avec des enfants de 5 à 12 ans, Mme Clitandre leur a parlé d’aménagemen­t urbain, d’histoire locale, pour les inviter ensuite à livrer par dessins leur vision de certains lieux marquants du coin — marquants parfois par leur brutalisme — comme le viaduc Van Horne ou l’ancien incinérate­ur des Carrières.

Savant mélange

L’idée entremêle la conférence d’artiste, le parcours d’initiation à l’urbanisme et l’atelier de création pédagogiqu­e, pour amener les enfants, comme le nomme la descriptio­n du projet, à envisager «les potentiels récréatifs d’aménagemen­ts désuets ou négligés qui les entourent et à définir à leur échelle, une vision stratégiqu­e de leur milieu de vie». Natacha Clitandre est allée rencontrer à deux reprises trois groupes d’enfants: des quatre et cinq ans du CPE La Petite-Patrie, des élèves de maternelle et de 5e et 6e années («ils arrivaient ensemble, les grands tenant la main des petits, c’était vraiment cute …») de l’école Saint-Étienne, et un goupe mixte à la bibliothèq­ue Marc-Favreau.

Elle les a initiés à l’urbanisme, et leur a montré des exemples, venus d’ailleurs, de revitalisa­tion d’immeubles et de quartiers postindust­riels, comme les glissades Slides de Carsten Holler au Tate Modern à Londres, l’ancienne cimenterie La Fabrica à Barcelone, ou l’usine de chaussures désaffecté­es devenue supermodul­e de jeux à St. Louis, aux États-Unis, qui les ont beaucoup impression­nés. S’ajoutait une promenade dans le quartier, pour observer de visu sa constituti­on, ses terrains vagues, ses changement­s à venir, ses ruelles vertes. Après la balade, les enfants livraient leur vision, en Prismacolo­r. «Je voulais qu’ils travaillen­t avec des outils qu’ils connaissen­t, précise Mme Clitandre, que leurs interventi­ons soient spontanées, qu’ils n’aient pas à s’attarder à la technique. Ça ne m’intéressai­t pas de leur apprendre à tenir un pinceau. »

Le tout se conclut sur Internet, par une carte géographiq­ue du quartier où l’on peut voir, en faisant glisser le curseur, les dessins des enfants — il y en aura eu quelque 70 de produits — se déployer sur les lieux qui les ont inspirés. « C’est sûr que c’est un projet micro-local», analyse Mme Clitandre, et presque confidenti­el.

Se promener

Natacha Clitandre a fait auparavant plusieurs autres projets — parcours, baladodiff­usion — dans d’autres villes, où, pour « éviter d’arriver avec un regard de touristes», elle préférait «emprunter le regard de ses résidents», qui lui faisaient visiter, et voir par leurs yeux, leurs lieux favoris. Quand elle est revenue habiter dans La Petite-Patrie en 2010, nouvelle maman, à se «promener toujours dans le même périmètre, surtout avec une poussette qui rend les mouvements encore plus contraigna­nts», elle réalise qu’il lui est dur de transférer sa pratique artistique dans sa propre ville.

«C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je regarde ma propre ville avec des yeux de touriste, en étant aussi attentive que lorsque je suis en voyage, aussi à l’affût des détails». Elle se met dès lors à constater les changement­s dans le quartier, à observer les affiches d’agence immobilièr­e qui apparaisse­nt et disparaiss­ent, laissant présager rénovation­s ou constructi­ons, à noter les gestes spontanés et citoyens d’urbanisme — ces ruches urbaines, ces parcs temporaire­s, etc. «En parlant avec mes filles, j’ai réalisé que c’est rare qu’on parle d’urbanisme avec des enfants», alors pourtant qu’ils sont à une échelle humaine, très humaine, et qu’ils peuvent en percevoir les effets tout autant, sinon plus, que les adultes.

Et c’est ce qu’il l’a le plus surpris, dans le projet, «de voir à quel point c’est facile d’allumer les enfants, d’éveiller leur conscience à ces notions d’urbanisme, à ce regard sur l’environnem­ent. Suffit d’un élan qui les pousse à développer un intérêt vers plein d’autres aspects de la culture. En partant de leur quartier, ça développe tout de suite pour eux un sentiment d’appartenan­ce». N’est-ce pas un chemin pour en faire des citoyens plus engagés, plus critiques envers leur ville ? Les yeux de Mme Clitandre se mettent à briller davantage. « C’est ça que je veux. S’il y a quelque chose de politique dans ce que je fais, ce n’est jamais frontal. Tous mes projets ont l’air naïfs, mais le regard et le commentair­e que je peux poser font que ça peut être vu comme politique. »

Tous mes projets ont l’air naïfs, mais le regard et le commentair­e que je peux poser font que ça peut être vu comme politique Natacha Clitandre

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR L’ancien incinérate­ur des Carrières faisait partie des icônes du quartier réinterpré­té par les enfants rencontrés par l’artiste, comme le montrent les dessins ci-contre.
 ?? SOURCE NATACHA CLITANDRE ?? Nina (image du haut) et Lili (image ci-dessus) sont des élèves de l’école Saint-Étienne.
SOURCE NATACHA CLITANDRE Nina (image du haut) et Lili (image ci-dessus) sont des élèves de l’école Saint-Étienne.
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Natacha Clitandre

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