L’homme au masque de plâtre
Les lendemains douloureux de la guerre vus par Albert Dupontel
AU REVOIR LÀ-HAUT
Comédie dramatique d’Albert Dupontel. Avec Albert Dupontel, Nahuel Pérez Biscayart, Émilie Dequenne, Laurent Lafitte. France, 2017, 120 minutes
Son parcours d’acteur (La maladie de Sachs, Irréversible) et de cinéaste (Bernie, 9 mois ferme) souligne son côté délinquant, et exigeant, mais Albert Dupontel sait aussi se faire consensuel et rassembleur. À la barre de son film le plus ambitieux, qui plus est inspiré du prix Goncourt 2013, Au revoir là-haut, de Pierre Lemaître, le voilà dans les tranchées du drame historique et de guerre ainsi que dans celles d’une certaine démesure esthétique à la Jean-Pierre Jeunet.
On songe d’ailleurs parfois à son Long dimanche de fiançailles et à ses reconstitutions somptueuses (et numérisées) du Paris des années folles, juxtaposées à celles de batailles impitoyables (Dupontel se contente d’une seule, impressionnante, qui suffit à saisir l’ampleur des atrocités). L’acteur se place au centre de ce chaos, dans la peau d’un poilu, Albert Maillard, qui a vu l’horreur de près, tout comme son compagnon d’armes, Édouard Péricourt (Nahuel Pérez Biscayart, aussi puissant que dans 120 battements par minute), qui le sauvera d’une mort certaine, mais au prix d’une gueule cassée — ils ont été nombreux à revenir ainsi, broyés pour la vie.
Tout cela aurait pu être évité, mais c’était sans compter la tyrannie du lieutenant Pradelle (Laurent Lafitte, plus poseur que perfide), esprit belliqueux et opportuniste qui poursuivra ses magouilles bien après l’armistice. Les deux soldats demeureront des témoins gênants de ses errances, et malgré leurs misères, ils sauront tirer leur épingle du jeu, tout particulièrement Édouard. Car derrière ses masques magnifiques et extravagants fabriqués avec soin, ce virtuose du dessin a réussi à faire croire à sa mort pour s’inventer une autre vie, au grand désespoir de sa soeur aimante (Émilie Dequenne) et d’un père aussi riche qu’arrogant (Niels Arestrup).
Sur l’air du «Il était une fois», long flash-back amorcé dans un commissariat de police au Maroc quelques années après les faits, Au revoir làhaut se déploie dans une opulence visuelle qui permet d’adoucir, voire de neutraliser, le marasme économique et psychologique de cette époque. L’approche rappelle les variations aseptisées des Misérables, de Victor Hugo, avec la présence rassurante d’une belle orpheline autour du duo, une Cosette proprette, jamais larmoyante.
Au revoir là-haut survole des sujets délicats déjà abordés dans d’autres films, et de manière plus frontale, soit la détresse psychologique des vétérans au visage ravagé (La chambre des of ficiers de François Dupeyron) ou l’arnaque entourant l’instauration de monuments aux morts et au soldat inconnu (La vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier). L’adaptation d’une oeuvre littéraire oblige à des choix parfois déchirants, et sans doute que les lecteurs enthousiastes du roman de Lemaître contesteront ceux de Dupontel. Il semble toutefois ratisser large pour les besoins d’un spectacle enlevant, s’offrant de petits morceaux de bravoure, dont cette fiesta décadente dans un hôtel de luxe qui aurait sûrement plu à Fellini.
La véritable fidélité du cinéaste va d’abord et avant tout aux codes du cinéma populaire français, suivant justement les traces de Jean-Pierre Jeunet et mettant ainsi en veilleuse son approche acidulée. Par respect pour des thèmes aussi graves que complexes et par souci de rallier à sa suite le plus grand nombre, et pas seulement les disciples du Goncourt annuel.