Baisses d’impôt des entreprises : le pari risqué de Donald Trump
Les récentes baisses d’impôt des compagnies aux États-Unis n’ont rien de bien original même si leur efficacité est pour le moins incertaine. Le Canada résistera-t-il à la tentation de les imiter, même s’il y aurait d’autres façons d’y répondre?
Donald Trump l’a finalement obtenue, sa première grande réforme depuis son arrivée à la Maison-Blanche. Considérée comme la plus importante réforme fiscale depuis au moins une trentaine d’années, la mesure de 1500 milliards sur 10 ans votée strictement en fonction des divisions partisanes fait la part belle aux particuliers les plus riches dans l’un des pays développés déjà des plus durement frappés par l’accroissement des inégalités. Il consiste toutefois principalement en une révision à la baisse de l’impôt sur les profits des entreprises afin, dit-on, de rattraper le retard pris sur tous les autres pays qui ont déjà fait de même pour attirer les investisseurs et stimuler ainsi leur activité économique.
Toujours aussi nuancé, le président américain a déclaré que sa réforme avait le pouvoir de porter la croissance de 2% en moyenne par an «à 4%, 5%, même 6% éventuellement». Plus prudents, ses propres experts évoquent tout au plus l’ajout d’un point de pourcentage, à 3%. Les analyses non partisanes sont encore plus réservées, les chercheurs du Penn Wharton Budget Model parlant de l’ajout tout au plus de 0,12 point de pourcentage par année de 2018 à 2027, au prix de l’addition d’au moins 1900 milliards à la dette fédérale. Et cela sans parler du fait qu’on risque encore de creuser le fossé entre riches et pauvres, d’abord parce que la forte majorité des actionnaires des compagnies américaines sont soit des gens aisés, soit des étrangers, ensuite parce que, lorsque la dette deviendra insupportable, il y a fort à parier qu’on sabrera les programmes sociaux.
De l’impact des baisses d’impôt
Pourquoi un effet de stimulation si réduit? Dans ses perspectives économiques du mois d’octobre, le Fonds monétaire international rappelait que, contrairement à l’augmentation des dépenses publiques qui vont directement dans l’économie et qui peuvent même avoir un effet démultiplicateur lorsqu’elles visent l’amélioration des infrastructures de production, la formation ou la recherche, les baisses d’impôt ne vont pas toujours à la croissance et peuvent, chez les entreprises, plutôt servir à grossir leurs réserves de liquidités, à racheter des actions ou à verser plus de dividendes aux actionnaires. Selon le FMI, un changement à l’impôt des entreprises est ainsi susceptible d’avoir dix fois moins d’impact économique aux ÉtatsUnis que les mêmes sommes consacrées à l’investissement public.
Il faut aussi choisir le bon moment, ajoutait le FMI. Pour être efficace, une mesure de stimulation économique doit arriver quand il y a beaucoup de capacités inutilisées, dit-il, comme au lendemain de la pire crise financière mondiale, quand le prédécesseur de Donald Trump suppliait sans succès les élus républicains de lui accorder plus qu’un maigre 780 milliards pour aider à relancer l’économie américaine. Pas quand, comme aujourd’hui, la reprise en est officiellement à sa huitième année et que le taux de chômage n’est plus qu’à 4,1%. Dans ce dernier cas, on court le risque de dépenser des ressources budgétaires pour rien, ou de pousser l’économie en surchauffe et de voir la Réserve fédérale américaine être forcée de mettre les freins en relevant ses taux d’intérêt plus vite que prévu.
Les baisses d’impôt ne viendront pas seules, font valoir les partisans de la réforme. Elles s’accompagneront également d’une déréglementation, notamment du secteur financier, qui gonflera, elle aussi, l’optimisme des consommateurs, des entreprises et des marchés.
On a fait grand cas, cette semaine, du bel enthousiasme de quelques entreprises, dont AT&T, Boeing et la banque Wells Fargo, qui ont annoncé leur intention de partager cette année une partie de leurs baisses d’impôt en primes pour leurs employés, en dons de charité et en projet d’investissement. Ironique, le Financial Times a fait remarquer mercredi que la sortie des trois compagnies n’avait sûrement rien à voir avec le fait que la première espère obtenir l’aval de la MaisonBlanche pour son ambitieuse prise de contrôle de Time Warner, que la seconde lui doit des remerciements pour son appui dans sa croisade commerciale contre Bombardier et que la troisième a besoin de sa magnanimité après avoir été prise dans toutes sortes de pratiques d’affaires douteuses cette année.
Déjà gonflés à bloc, les marchés boursiers se sont, quant à eux, montrés ravis cette semaine, comme chaque fois que les entreprises ont plus d’argent dans leurs poches, qu’on baisse les impôts et qu’on déréglemente… jusqu’à ce que les choses tournent mal.
Suivez le guide?
Là où Donald Trump a raison, c’est quand il dit que sa réforme ne fait que ramener son pays dans la course à la baisse de l’impôt des entreprises. Une course dans laquelle, parmi les pays développés, le Canada ne jouait pas dans les mêmes ligues que des paradis fiscaux comme l’Irlande ou les Pays-Bas, mais où il s’était assuré malgré tout une position très avantageuse avec un taux d’impôt effectif de seulement 8,5% en 2012, selon le Bureau budgétaire du Congrès américain (CBO), contre 11,2% en France, 15,5% en Allemagne, 18,6% aux États-Unis et presque autant au Royaume-Uni.
Le Canada choisira-t-il de réduire de nouveau ses taux pour garder son avantage ou se contentera-t-il de copier quelques mesures, comme l’amortissement accéléré des achats en machinerieetenimmobilisation?Onverra.
Ce que l’on sait, c’est que les impôts ne sont qu’un facteur parmi d’autres dans le choix d’investissement et de développement des compagnies dans un pays. Entre autres facteurs aussi importants, parfois plus encore: l’existence de politiques industrielles bien ciblées, la disponibilité d’une main-d’oeuvre qualifiée, la capacité d’accueil de renforts venus de l’étranger, l’accès aux grands marchés étrangers, le poids de la réglementation, l’état des infrastructures et des services publics, de même que la qualité de vie.
Le Canada choisira-t-il de réduire de nouveau ses taux pour garder son avantage ou se contentera-t-il de copier quelques mesures?