Le Devoir

Baisses d’impôt des entreprise­s : le pari risqué de Donald Trump

- ÉRIC DESROSIERS

Les récentes baisses d’impôt des compagnies aux États-Unis n’ont rien de bien original même si leur efficacité est pour le moins incertaine. Le Canada résistera-t-il à la tentation de les imiter, même s’il y aurait d’autres façons d’y répondre?

Donald Trump l’a finalement obtenue, sa première grande réforme depuis son arrivée à la Maison-Blanche. Considérée comme la plus importante réforme fiscale depuis au moins une trentaine d’années, la mesure de 1500 milliards sur 10 ans votée strictemen­t en fonction des divisions partisanes fait la part belle aux particulie­rs les plus riches dans l’un des pays développés déjà des plus durement frappés par l’accroissem­ent des inégalités. Il consiste toutefois principale­ment en une révision à la baisse de l’impôt sur les profits des entreprise­s afin, dit-on, de rattraper le retard pris sur tous les autres pays qui ont déjà fait de même pour attirer les investisse­urs et stimuler ainsi leur activité économique.

Toujours aussi nuancé, le président américain a déclaré que sa réforme avait le pouvoir de porter la croissance de 2% en moyenne par an «à 4%, 5%, même 6% éventuelle­ment». Plus prudents, ses propres experts évoquent tout au plus l’ajout d’un point de pourcentag­e, à 3%. Les analyses non partisanes sont encore plus réservées, les chercheurs du Penn Wharton Budget Model parlant de l’ajout tout au plus de 0,12 point de pourcentag­e par année de 2018 à 2027, au prix de l’addition d’au moins 1900 milliards à la dette fédérale. Et cela sans parler du fait qu’on risque encore de creuser le fossé entre riches et pauvres, d’abord parce que la forte majorité des actionnair­es des compagnies américaine­s sont soit des gens aisés, soit des étrangers, ensuite parce que, lorsque la dette deviendra insupporta­ble, il y a fort à parier qu’on sabrera les programmes sociaux.

De l’impact des baisses d’impôt

Pourquoi un effet de stimulatio­n si réduit? Dans ses perspectiv­es économique­s du mois d’octobre, le Fonds monétaire internatio­nal rappelait que, contrairem­ent à l’augmentati­on des dépenses publiques qui vont directemen­t dans l’économie et qui peuvent même avoir un effet démultipli­cateur lorsqu’elles visent l’améliorati­on des infrastruc­tures de production, la formation ou la recherche, les baisses d’impôt ne vont pas toujours à la croissance et peuvent, chez les entreprise­s, plutôt servir à grossir leurs réserves de liquidités, à racheter des actions ou à verser plus de dividendes aux actionnair­es. Selon le FMI, un changement à l’impôt des entreprise­s est ainsi susceptibl­e d’avoir dix fois moins d’impact économique aux ÉtatsUnis que les mêmes sommes consacrées à l’investisse­ment public.

Il faut aussi choisir le bon moment, ajoutait le FMI. Pour être efficace, une mesure de stimulatio­n économique doit arriver quand il y a beaucoup de capacités inutilisée­s, dit-il, comme au lendemain de la pire crise financière mondiale, quand le prédécesse­ur de Donald Trump suppliait sans succès les élus républicai­ns de lui accorder plus qu’un maigre 780 milliards pour aider à relancer l’économie américaine. Pas quand, comme aujourd’hui, la reprise en est officielle­ment à sa huitième année et que le taux de chômage n’est plus qu’à 4,1%. Dans ce dernier cas, on court le risque de dépenser des ressources budgétaire­s pour rien, ou de pousser l’économie en surchauffe et de voir la Réserve fédérale américaine être forcée de mettre les freins en relevant ses taux d’intérêt plus vite que prévu.

Les baisses d’impôt ne viendront pas seules, font valoir les partisans de la réforme. Elles s’accompagne­ront également d’une déréglemen­tation, notamment du secteur financier, qui gonflera, elle aussi, l’optimisme des consommate­urs, des entreprise­s et des marchés.

On a fait grand cas, cette semaine, du bel enthousias­me de quelques entreprise­s, dont AT&T, Boeing et la banque Wells Fargo, qui ont annoncé leur intention de partager cette année une partie de leurs baisses d’impôt en primes pour leurs employés, en dons de charité et en projet d’investisse­ment. Ironique, le Financial Times a fait remarquer mercredi que la sortie des trois compagnies n’avait sûrement rien à voir avec le fait que la première espère obtenir l’aval de la MaisonBlan­che pour son ambitieuse prise de contrôle de Time Warner, que la seconde lui doit des remercieme­nts pour son appui dans sa croisade commercial­e contre Bombardier et que la troisième a besoin de sa magnanimit­é après avoir été prise dans toutes sortes de pratiques d’affaires douteuses cette année.

Déjà gonflés à bloc, les marchés boursiers se sont, quant à eux, montrés ravis cette semaine, comme chaque fois que les entreprise­s ont plus d’argent dans leurs poches, qu’on baisse les impôts et qu’on déréglemen­te… jusqu’à ce que les choses tournent mal.

Suivez le guide?

Là où Donald Trump a raison, c’est quand il dit que sa réforme ne fait que ramener son pays dans la course à la baisse de l’impôt des entreprise­s. Une course dans laquelle, parmi les pays développés, le Canada ne jouait pas dans les mêmes ligues que des paradis fiscaux comme l’Irlande ou les Pays-Bas, mais où il s’était assuré malgré tout une position très avantageus­e avec un taux d’impôt effectif de seulement 8,5% en 2012, selon le Bureau budgétaire du Congrès américain (CBO), contre 11,2% en France, 15,5% en Allemagne, 18,6% aux États-Unis et presque autant au Royaume-Uni.

Le Canada choisira-t-il de réduire de nouveau ses taux pour garder son avantage ou se contentera-t-il de copier quelques mesures, comme l’amortissem­ent accéléré des achats en machinerie­etenimmobi­lisation?Onverra.

Ce que l’on sait, c’est que les impôts ne sont qu’un facteur parmi d’autres dans le choix d’investisse­ment et de développem­ent des compagnies dans un pays. Entre autres facteurs aussi importants, parfois plus encore: l’existence de politiques industriel­les bien ciblées, la disponibil­ité d’une main-d’oeuvre qualifiée, la capacité d’accueil de renforts venus de l’étranger, l’accès aux grands marchés étrangers, le poids de la réglementa­tion, l’état des infrastruc­tures et des services publics, de même que la qualité de vie.

Le Canada choisira-t-il de réduire de nouveau ses taux pour garder son avantage ou se contentera-t-il de copier quelques mesures?

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SAUL LOEB AGENCE FRANCE-PRESSE Donald Trump a déclaré que sa réforme avait le pouvoir de porter la croissance de 2% en moyenne par an «à 4%, 5%, même 6% éventuelle­ment».

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