Le Devoir

La hausse du salaire minimum a des effets fâcheux sur l’emploi, selon une étude de la Banque du Canada.

- ÉRIC DESROSIERS

La hausse du salaire minimum au Canada se traduira à court terme par la perte de 60 000 emplois et une croissance économique légèrement moins forte, estime une analyse de la Banque du Canada, mais aussi par une augmentati­on du revenu des travailleu­rs au bas de l’échelle.

L’augmentati­on marquée du salaire minimum en Ontario et en Alberta ainsi que sa hausse plus modeste au Québec et en Colombie-Britanniqu­e auront, comme on pouvait l’espérer, un impact positif sur le revenu des travailleu­rs, ont conclu des économiste­s de la banque centrale canadienne dans une note analytique la semaine dernière. Le salaire réel moyen au Canada devrait ainsi augmenter d’environ 0,7% d’ici 2019, avec, bien sûr, pour principaux bénéficiai­res les quelque 8% de travailleu­rs canadiens au salaire minimum, mais aussi, dans une moindre mesure, les salariés gagnant à peine plus et appartenan­t au groupe des 15 % de travailleu­rs les moins bien payés.

La hausse de ces salaires n’aura toutefois pas que des effets positifs, préviennen­t les auteurs de la note. Elle augmentera les coûts de fonctionne­ment des entreprise­s, qui n’auront d’autre choix que de refiler au moins une partie de la facture aux consommate­urs, augmentant d’environ 0,1 point de pourcentag­e l’inflation et réduisant la croissance économique de 0,1% d’ici 2019. L’augmentati­on du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes profitera très certaineme­nt à l’économie, précise-t-on, mais comme ils ne comptent que pour environ 4 % de tous les consommate­urs, l’augmentati­on générale du coût de la vie et son influence à la hausse sur les taux d’intérêt «contrebala­nceraient amplement» cet effet bénéfique.

Le léger ralentisse­ment économique attendu suffira à faire baisser le nombre total d’heures travaillée­s au Canada de 0,3%, soit l’équivalent de 60 000 emplois, si l’on se fie aux moyennes actuelles. Cette estimation des pertes d’emplois est plutôt prudente, suggèrent les experts de la banque, qui soulignent qu’une simple approche comptable les fixerait plutôt à l’intérieur d’une fourchette allant de 30 000 à 140 000 emplois perdus.

Les hausses promises

L’augmentati­on du salaire minimum s’est récemment imposée comme l’un des principaux chevaux de bataille des syndicats et du mouvement de lutte contre la pauvreté au Canada. S’inspirant de campagnes similaires aux ÉtatsUnis, ils ont fait du seuil de 15 $ l’heure un minimum absolu à atteindre au plus vite.

Cet appel a été entendu en Ontario, où le salaire minimum est passé de 11,40$ l’heure cet automne à 14$ cette semaine, et doit encore augmenter à 15$ en janvier prochain. Il a aussi été entendu en Alberta, où le salaire minimum a augmenté de 12,20$ l’heure à 13,60$ cet automne, et doit sauter à 15 $ l’automne prochain.

La hausse sera nettement moins marquée au Québec, à raison de petits sauts chaque année qui ont porté le salaire minimum de 10,55$ l’heure en 2016 à 11,25 $ actuelleme­nt et le porteront à 12,10$ en mai 2019. Plus modeste aussi, la Colombie-Britanniqu­e a fait passer son propre seuil de 10,85$ à 11,35$ en septembre. Les économiste­s de la Banque du Canada estiment l’ampleur des changement­s ou leur impact sur l’économie canadienne plus négligeabl­e dans les autres provinces, comme la Saskatchew­an (10,96 $), le Manitoba (11,15 $) et le Nouveau-Brunswick (11 $).

Des impacts plus importants à long terme?

Des experts préviennen­t les gouverneme­nts qu’une hausse trop marquée et trop rapide du salaire minimum pourrait se révéler contre-productive en minant la compétitiv­ité des entreprise­s, en détruisant des petits emplois ou en encouragea­nt le décrochage scolaire. Certains font aussi valoir que ce salaire minimum doit tenir compte du coût de la vie, par exemple, plus bas au Québec qu’en Ontario ou en Alberta.

En fait, «l’impact à long terme [des hausses annoncées du salaire minimum] pourrait être substantie­llement plus grand que leurs effets à court terme», notent les économiste­s de la Banque du Canada. Les salaires plus élevés risquent d’encourager les jeunes à quitter plus tôt l’école pour le marché du travail, mais aussi d’inciter les entreprise­s à remplacer les travailleu­rs par des machines. Ils pourraient nuire également au développem­ent de certains secteurs, notamment celui du commerce de détail où se retrouvent plusieurs des travailleu­rs que l’on cherche justement à aider. «Les hausses du salaire minimum pourraient avoir des effets à long terme du fait de l’automatisa­tion, des gains de productivi­té ou de l’évolution du taux d’activité, mais ces effets peuvent être aussi bien positifs que négatifs » pour l’économie comme pour les travailleu­rs, concluent-ils. Tout cela est bien « ambigu ».

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SCOTT OLSON GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Des experts préviennen­t les gouverneme­nts qu’une hausse trop marquée et trop rapide du salaire minimum pourrait se révéler contre-productive en minant la compétitiv­ité des entreprise­s, entre autres.

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