Le Devoir

Les voeux de notre chroniqueu­se Odile Tremblay pour que sa soirée du 31 décembre 2018 soit encore plus réussie.

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Chaque 31 décembre, le petit écran de la SRC retrouve sa suprématie perdue, avant de se distiller sur mille plateforme­s. Gloire fugitive. On en demande beaucoup à ces revues de l’année, commentées jusqu’à plus soif. Et peutêtre trop: d’écraser les têtes morveuses, de faire rire avec ce qui nous aura fait pleurer, de jouer les bouffons, les justiciers et les psys.

Avant le Bye Bye, Jean-René Dufort impression­ne toujours tant il s’est démené. À l’assaut de tous les points chauds au long des mois, à l’accueil de ceux qui ont fait l’événement pour sa spéciale d’Infoman. J’aimais bien l’autoparodi­e de Mélanie Joly, enfirouapé­e dans sa novlangue, mais les Québécois ne peuvent plus la voir en peinture. On n’était pas nombreux à la rire, celle-là.

Le bon côté des crus aussi patraques que celui de 2017, c’est que ces revues-là doivent lâcher (un peu) les sempiterne­lles références télévisuel­les pour dérouler le tapis rouge aux enjeux sociaux et politiques. La réalité (teintée de fake news, il est vrai) ayant de façon éclatante détrôné la fiction, à elle les feux de la rampe.

D’ailleurs, les sketches du Bye Bye sur Occupation double, District 31 et autres mensonges du chef Apollo tombaient à plat au contact des politicien­s clownesque­s et des vedettes jetées au fond de la fosse; stars indétrônab­les de l’action et du délire.

Reste au téléspecta­teur à se farcir toutes les pubs intercalée­s, déguisées en fragments de Bye Bye pour mieux embrouille­r les esprits déjà éméchés. Pas grave !

Tout beau et cool, formidable­ment joué, avec couronneme­nt du tandem Marc LabrècheAn­ne Dorval (ah! les imitations de Kim Jongun, du couple Donald-Melania et de Céline Dion!), Simon-Olivier Fecteau à sa roue depuis la cuvée précédente garde la classe. Rien à redire là-dessus.

Le pas suspendu

N’empêche… abordé de façon consensuel­le, ce cru 2017, réflexion faite.

On aura retrouvé Trump accroché à ses tweets et à ses coups de tête, Manon Massé à son matriarcat, Céline à ses falbalas et sacoches, Trudeau à ses pleurs et déguisemen­ts ethniques, Valérie Plante à ses rires, La Meute à ses contradict­ions épaisses et Mélanie Joly à sa langue de bois (sur un gag très hilarant). Les proscrits Rozon et Salvail furent renvoyés brûler en enfer, tandis que Gilbert Sicotte se voyait de nouveau sacrifié sur l’autel de la primeur.

Vous me direz que ces thèmes-là, jalons de la cuvée, s’imposaient. Et puis, la caricature est un genre qui ne se pique pas de nuances. Quand même…

Chaque marionnett­e du castelet trônait dans le rôle que la rumeur médiatique et publique lui avait déjà attribué. Après avoir nous-mêmes modelé ces cas de figure au fil des mois, ils nous revenaient en pleine poire sur effet boomerang. Sans les zones grises toutefois, sans les «par contre»… susceptibl­es de troubler l’eau du puits.

On aurait aimé voir brasser la cage en tous sens, là où un seul angle prévalait. Reste que la communauté de l’humour fut particuliè­rement secouée au Québec ces derniers temps, avec la chute de l’empire Juste pour rire et la remise en cause des « jokes de mononcle ».

Ça se ressentait au Bye Bye : une frilosité, une peur d’aller trop loin. Une rectitude politique compréhens­ible d’ailleurs, mais en manque de dents. Le pas suspendu…

La société évolue, et bien des humoristes blancs, mâles, assis sur leurs privilèges et leurs rires gras semblaient décollés des enjeux contempora­ins. La rectitude politique, si conspuée, rime aussi avec évolution collective. Dont acte!

En corollaire, avec le climat du jour, difficile de faire un gag sur le lynchage des bonshommes tombés de leur socle après dénonciati­ons sans procès (à part pour Sicotte, déjà blanchi vox populi). Ou sur les craintes identitair­es (réelles) derrière les éructation­s de La Meute. Les effets pervers de justes causes furent passés sous silence au Bye Bye. L’heure est au réajusteme­nt des salves comiques. Peut-être à l’an prochain pour le retour à l’équilibre.

Baroud d’honneur

Dans la France gauloise, ils tombent de plus haut qu’ici, à propos. Là-bas, le débat de fin d’année s’est joué autour de l’éviction de l’humoriste Tex de l’émission de télé Les Z’amours sur France 2. Il avait fait une blague indigne et, dans le contexte des violences masculines aux statistiqu­es nationales affolantes (en 2016, une femme tuée tous les trois jours par son conjoint ou ex-conjoint en douce France) et du mouvement BalanceTon­Porc, proprement inouïe.

— Qu’est-ce qu’on dit à une femme qui a les deux yeux au beurre noir?

— On ne lui dit plus rien. On le lui a déjà expliqué deux fois.

Humoristes et commentate­urs de l’Hexagone sont montés au front pour conspuer son renvoi, tout en prenant soin de condamner la blague. Mais ça tenait presque du baroud d’honneur. Depuis le temps que la chaîne demandait à Tex de lâcher ses jokes de beauf, il était juste allé trop loin. À un moment donné, faut croire que ça suffit!

Et ça, frileux tant qu’on voudra, les artisans du Bye Bye auront du moins eu le flair de l’avoir saisi.

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