Le Devoir

Le Canada se rappelle maintenant la nature mondiale du commerce

Le Canada s’est fait plaisir en lâchant une bombe contre les États-Unis à l’OMC. Reste maintenant à voir comment cette approche servira sa cause commercial­e à court et plus long terme.

- ÉRIC DESROSIERS

La nouvelle a retenti comme un coup de tonnerre dans le petit univers feutré de la diplomatie commercial­e. Il n’est pas rare qu’un pays en accuse un autre de pratiques commercial­es déloyales et saisisse de l’affaire le plus important tribunal internatio­nal en la matière, c’est-à-dire le mécanisme de règlement des différends de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC). Mais mercredi, il était question du Canada qui accusait son principal partenaire commercial, et plus grande économie du monde, de systématiq­uement violer les règles de l’OMC au détriment de l’ensemble de la communauté internatio­nale.

Les pratiques rapportées dans le document de 32 pages, qui cite six grands types de violation illustrés par des dizaines d’exemples concernant plus d’une trentaine de pays, ne sont pas nouvelles. Cela fait des années qu’on accuse les États-Unis d’utiliser son droit d’imposer des droits antidumpin­g et compensato­ires de façon malhonnête afin de perturber à son avantage les secteurs visés, d’asphyxier financière­ment la concurrenc­e étrangère et d’essayer de permettre aux entreprise­s américaine­s de ne profiter que des avantages du libre-échange. L’arrivée à la Maison-Blanche d’un nouveau gouverneme­nt ouvertemen­t protection­niste et fier de sa conception agressive des relations commercial­es est en voie cependant d’aggraver singulière­ment le problème.

Le dévoilemen­t, cette semaine, par l’OMC, de la plainte déposée presque un mois auparavant par le Canada est tombé le même jour que des sources gouverneme­ntales canadienne­s faisaient courir la rumeur qu’Ottawa craint de plus en plus que Donald Trump mette bientôt à exécution sa menace de retirer son pays de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La ministre canadienne des Affaires étran- gères, Chrystia Freeland, n’a démenti qu’à moitié ces rumeurs jeudi, répétant pour une énième fois que le Canada espère toujours obtenir une entente, mais qu’il « se prépare au pire» dans la renégociat­ion du traité censée se conclure avant le mois de mars et où le fossé entre les États-Unis et ses deux partenaire­s canadien et mexicain semble ne pas cesser de se creuser.

Appel à des alliés

Si l’envie du Canada de dire à Donald Trump ses quatre vérités est facile à comprendre, on doit se demander ce que la souris canadienne pense pouvoir gagner en allant sur la scène mondiale placer ce gros pétard sous l’éléphant américain !

À court terme, le gouverneme­nt Trudeau s’est simplement rendu compte, avec le pourrissem­ent des conflits autour du bois d’oeuvre, de la CSeries de Bombardier et du papier journal, que son approche, basée sur le dialogue et la conciliati­on avec le gouverneme­nt Trump, ne marchait pas et a décidé de passer au plan B, a avancé jeudi un chroniqueu­r du Globe and Mail. Le ministre canadien du Commerce internatio­nal, François-Philippe Champagne, a semblé accréditer cette hypothèse en déclarant jeudi: «Quand les gens voient que vous êtes fermes, vous gagnez le respect.»

Seul, le Canada n’a évidemment pas les moyens de jouer les gros bras face à la superpuiss­ance américaine. Il n’a toutefois échappé à personne à l’OMC que la façon dont sa plainte a été formulée équivalait à un appel du pied à l’intention des autres membres de la communauté internatio­nale qui voudraient se rallier à sa cause, notamment en Europe, au Japon et en Chine.

Des analystes ont observé que les rumeurs qu’on a fait circuler sur l’échec probable de la renégociat­ion de l’ALENA permettaie­nt à Ottawa de préparer le coeur des Canadiens, mais aussi de les rassurer en disant que leur gouverneme­nt est prêt à toutes les éventualit­és. On pourrait ajouter qu’elles servent aussi d’appel à l’aide auprès des nombreux alliés politiques et économique­s que l’ALENA compte toujours aux États-Unis afin qu’ils s’activent et exercent le maximum de pression possible sur le gouverneme­nt Trump à la veille de la sixième et extrêmemen­t délicate ronde de négociatio­ns à Montréal dans deux semaines.

Une planète

À plus long terme, le coup d’éclat du Canada à l’OMC de cette semaine ramène aussi à l’avant-scène une approche multilatér­ale en perte de vitesse depuis plusieurs années. Jusqu’à présent, le gouverneme­nt Trudeau avait beaucoup laissé entendre que, quoi qu’il arrive, les deux voisins et amis nord-américains finiraient bien par trouver une entente commercial­e mutuelleme­nt satisfaisa­nte, quitte à ce que ce soit seulement à deux. Son appel maintenant aux règles et à l’arbitrage d’une organisati­on internatio­nale, comptant plus de 160 pays membres représenta­nt 98% du commerce mondial, rappelle non seulement que sa meilleure arme pour se défendre ne sera jamais la force, mais la règle de droit, mais aussi qu’en matière de commerce — comme d’environnem­ent, de terrorisme, de paradis fiscaux ou d’immigratio­n —, les problèmes, comme leurs solutions, ne sont pas bilatéraux, mais mondiaux.

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DREW ANGERER GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Le premier ministre Justin Trudeau était de passage à Washington, en octobre. Seul, le Canada n’a pas les moyens de jouer les gros bras face à la superpuiss­ance américaine.

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