Le Devoir

À plein régime pour Kim Jong-un.

Même à l’étranger, les travailleu­rs continuent de vivre sous la dictature des Kim

- JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY à Oulan-Bator

Même à l’étranger, les travailleu­rs nord-coréens continuent de subir la dictature du régime le plus isolé de la planète.

Le régime nord-coréen tire des millions de dollars des travailleu­rs qu’il envoie à l’étranger. Enquête en Mongolie et en Corée du Sud sur cette main-d’oeuvre réduite au travail forcé et au silence, ciblée par les sanctions internatio­nales.

Alors que l’obscurité et l’air frigorifié enveloppen­t OulanBator, la capitale mongole, une poignée de Nord-coréens sont à la manoeuvre dans un chantier de constructi­on. Ils tirent les joints d’un mur, soudent un tuyau de métal ou encore charrient des morceaux de brique. À cette heure tardive, leurs collègues mongols ont déjà quitté les lieux.

Dans le sous-sol du bâtiment en constructi­on, une porte ouverte sur une pièce sans fenêtre laisse entrevoir une série de lits collés les uns aux autres. Un téléviseur à écran plat diffuse une série dramatique ou un film nord-coréens.

C’est là que dorment ces travailleu­rs étrangers lorsqu’ils ne sont pas à l’ouvrage dans les étages supérieurs, assure un Mongol qui connaît bien le chantier, après être parvenu à passer le garde de sécurité de même nationalit­é que lui.

À peine remarqué par les

Nord-Coréens vivement affairés, Le Devoir a pu jeter un bref regard à l’environnem­ent de travail et de vie de ces étrangers tenus à l’écart de la population locale et surveillés de près. Car ces ouvriers ne sont pas des réfugiés. Ce sont des citoyens nord-coréens qui, même à l’étranger, continuent de vivre sous les diktats de la dictature des Kim. Cette maind’oeuvre astreinte à ce que l’ONU, le départemen­t d’État américain et de nombreuses ONG qualifient de travail forcé, trime dur pour renflouer les coffres du royaume ermite asséchés par une panoplie de sanctions internatio­nales.

Ciblés par les sanctions

Au pays de Gengis Khan, ils sont un millier environ à besogner dans les chantiers de constructi­on, dans les usines de textile, ainsi que dans quelques restaurant­s et cliniques. Une fraction seulement des 50 000 à 100 000 Nord-Coréens, selon les estimation­s, qui sont à l’ouvrage dans une trentaine de pays d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient et même d’Europe. Ce sont la Chine et la Russie, deux voisins de Pyongyang, qui accueillen­t les plus forts contingent­s, avec environ 30 000 travailleu­rs chacun sur son territoire.

Le gouverneme­nt le plus isolé au monde leur arrache un montant estimé entre 200 et 500 millions de dollars par année. Une somme non négligeabl­e — sur un budget national d’environ 3 milliards — qui facilitera­it la capacité du régime à développer un arsenal balistique et nucléaire qui ne cesse d’inquiéter la communauté internatio­nale par ses prouesses.

Voilà pourquoi l’étau se resserre autour de cette maind’oeuvre. Les sanctions adoptées en septembre dernier par le Conseil de sécurité de l’ONU contre la Corée du Nord ciblaient pour la première fois les travailleu­rs nordcoréen­s, intimant les pays hôtes à ne plus leur délivrer de visas de travail. Une autre ronde de sanctions votée tout juste avant Noël leur ordonne de les expulser d’ici 24 mois.

Signe que les sanctions mordent, des médias ont rapporté que la Chine, principal partenaire commercial de Pyongyang, a commencé à reconduire des travailleu­rs à la frontière que partagent les deux pays. Le Sénégal, l’Angola, le Qatar, le Koweït, les Émirats arabes unis et la Pologne ont aussi annoncé qu’ils obtempérer­aient.

La Mongolie, elle, a emboîté le pas début décembre. Mais le président, Khaltmaagi­yn Battulga, a précisé en milieu de semaine que le renvoi des NordCoréen­s allait être progressif afin d’honorer les contrats de travail en vigueur. Un coup de téléphone passé dans une clinique et un restaurant nord-coréen d’Oulan-Bator confirme d’ailleurs que leurs portes sont toujours ouvertes.

Des salaires confisqués

Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en République démocratiq­ue politique de Corée, Pyongyang confisque entre 60 % et 90 % du salaire gagné par ses ressortiss­ants à l’étranger.

Jong-su (nom fictif), un NordCoréen qui a fui en Corée du Sud en 2009, est parvenu à savoir à combien s’élevait son salaire réel lorsqu’il était en Malaisie. Lors de son premier séjour, à la fin des années 1990, il n’empochait que 80$ des 600$ versés par l’entreprise locale. Lors de son deuxième déploiemen­t dans les années 2000, c’était 150$ sur 3500$. Le reste était encaissé par le régime, confie-t-il au Devoir.

Encore était-il payé. Il pouvait même envoyer à sa famille des centaines de dollars par année, que des compatriot­es faisant le périple vers Pyongyang acheminaie­nt en main propre.

Ce n’était pas le cas de Rimil, un réfugié nord-coréen qui a trimé dans un chantier de constructi­on au Koweït en 1996 et en 1997, et n’a reçu en retour que quelques dizaines de dollars le jour de l’anniversai­re de naissance de Kim Ilsung. On lui avait pourtant promis 120$ par mois, «une somme hallucinan­te en Corée du Nord», dit-il.

En Mongolie, frappée par une dure récession il y a deux ans, des travailleu­rs ont connu un sort similaire. Dans son rapport sur les travailleu­rs nord-coréens en Mongolie, l’ONG Database Center for North Korean Human Rights (NKDB), basée à Séoul, rapporte plusieurs cas de non-versement de salaires à cette main-d’oeuvre souvent dépourvue de recours auprès des autorités locales.

Bat-erdene (nom fictif), un ancien policier mongol à la carrure de lutteur qui a longtemps travaillé pour une entreprise embauchant des Nordcoréen­s, leur a souvent prêté main-forte. Par pure sympathie. «Les Nord-Coréens sont dans les chantiers 24 heures sur 24. Ils travaillen­t très fort, raconte-t-il, attablé dans un café de la capitale mongole. Alors quand une compagnie ne les paie pas, j’avertis le patron que sa bâtisse ne tiendra pas debout longtemps s’il ne verse pas leurs salaires ! »

Des contrats «au noir»

Selon NKDB, qui a recueilli les témoignage­s anonymes de plusieurs de ces travailleu­rs en Mongolie, au lieu d’exiger un pourcentag­e de leurs salaires, les autorités nord-coréennes réclament des versements minimums, forçant parfois ainsi certains d’entre eux à dénicher en sus des contrats «au noir» pour atteindre les cibles.

Des travailleu­rs ont confié ne pas avoir été en mesure de mettre de l’argent de côté, sinon très peu. Des employeurs mongols ont en effet confirmé au Devoir avoir embauché des Nord-Coréens pour de menus travaux, notamment dans la rénovation domiciliai­re. L’auteur a effectué ce reportage en marge de ses fonctions au CERIUM.

Les sanctions adoptées par l’ONU contre la Corée du Nord somment les pays hôtes de ne plus délivrer de visas de travail Le gouverneme­nt le plus isolé au monde arrache à sa main-d’oeuvre à l’étranger un montant estimé entre 200 et 500 millions de dollars par année. Une somme non négligeabl­e, sur un budget national d’environ trois milliards, qui facilitera­it la capacité du régime à développer un arsenal nucléaire qui ne cesse d’inquiéter la communauté internatio­nale.

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LEE JAE-WON AGENCE FRANCE-PRESSE Comme des milliers de leurs compatriot­es exilés dans divers pays, ces ouvrières nord-coréennes travaillen­t à la chaîne dans une manufactur­e de la Corée du Sud, à quelques kilomètres de la zone démilitari­sée fortifiée qui sépare les deux pays.

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