Le Devoir

Visions divergente­s au sein de la commission sur les femmes autochtone­s

Les démissions se multiplien­t, minant la crédibilit­é de l’exercice

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Un autre démissionn­aire de l’enquête nationale sur les femmes autochtone­s déplore des philosophi­es profession­nelles divergente­s au sein de l’équipe. L’avocat Alain Arsenault accuse en outre la commission d’enquête d’avoir menti sur les raisons de sa démission.

«J’ai quitté l’enquête nationale non pas pour des raisons personnell­es ou en raison d’un nombre d’heures épuisées à mon contrat, mais bien pour des divergence­s profession­nelles importante­s», a statué Me Arsenault au Devoir, vendredi, en réfutant les raisons évoquées par l’enquête nationale pour expliquer sa démission à la mi-décembre et dont Radio-Canada a fait état jeudi soir. «Je crois toujours à une commission d’enquête sur les femmes autochtone­s disparues, assassinée­s et victimes de toutes formes de violence», a plaidé l’avocat. Mais pour le reste, il n’a pas voulu donner plus de détails sur les problèmes internes qui l’ont convaincu de claquer la porte.

La commission d’enquête a connu son lot d’ennuis depuis sa mise sur pied en 2016.

Il semble, selon nos sources, que certains départs s’expliquent par l’affronteme­nt de deux visions différente­s. Les commissair­es favorisera­ient les témoignage­s des familles de victimes et de survivante­s. D’autres souhaitera­ient une approche plus judiciaire, qui puisse aller au-delà de ces récits pour les étoffer de dossiers ou de témoignage­s de la part des autorités qui viendraien­t prouver des problèmes de discrimina­tion systémique.

La présidente de Femmes autochtone­s du Québec, Viviane Michel, est notamment de ce second camp. «Si on veut que justice soit faite, le côté juridique est vraiment important», a-t-elle affirmé au Devoir vendredi. «Il faut appeler des gens concernés à venir témoigner, comme des enquêteurs, la Sûreté du Québec ou des policiers. »

L’inquiétude est à son comble, chez Femmes autochtone­s du Québec. «J’ai beau être optimiste, ces démissions­là nous inquiètent», a reconnu Mme Michel, dont une collègue songe carrément à retirer son appui à l’enquête nationale. Viviane Michel n’est pas rendue là. Mais elle réclame des comptes aux commissair­es, qui doivent partager un plan de match détaillé pour convaincre les familles de continuer de leur faire confiance. «On a besoin d’être rassurés.» L’Associatio­n des femmes autochtone­s du Canada s’est dite « choquée et outrée» d’apprendre les plus récents départs de Me Arsenault et de la directrice générale Debbie Reid, qui a quitté son poste jeudi.

Le constat est le même pour la présidente du conseil des femmes de l’Associatio­n nationale des Premières Nations, Denise Stonefish. «Les préoccupat­ions des familles se voient légitimées. Et qu’est-ce que tout cela nous dit sur l’enquête, quand on voit se succéder toutes ces démissions?» s’est demandé la chef ontarienne. Mme Stonefish refuse cependant elle aussi de trop se décourager. «Je suis encore optimiste parce que je ne veux pas voir échouer cette importante enquête, pour les familles et pour les femmes qui ne sont plus des nôtres. »

Certains chefs autochtone­s ont réclamé le départ de la commissair­e en chef Marion Buller, en décembre dernier, lors d’une rencontre de l’Assemblée des Premières Nations. La commissair­e leur avait rétorqué, stoïque, qu’elle resterait en place, tout comme les trois autres commissair­es.

Selon nos sources, Mme Buller ne se sentirait pas concernée par les problèmes qui hantent l’enquête nationale.

Des membres de l’équipe à l’interne lui ont cependant reproché de «manquer de vision» et d’être à la tête d’une commission d’enquête qui change constammen­t de stratégie.

Sue Montgomery, qui a quitté l’équipe des communicat­ions l’été dernier, déplorait au Devoir en septembre un «manque de leadership». «Le gros problème, c’était qu’il n’y avait pas de plan. Chaque jour, on avait des réunions et on décidait d’un plan. Et le lendemain, ça changeait», relatait l’ancienne journalist­e, qui est devenue depuis mairesse de Côte-des-Neiges–Notre-Damede-Grâce.

Depuis son départ début juin 2017, treize autres employés ont quitté l’enquête nationale — notamment la commissair­e Marilyn Poitras — et quatre autres ont été licenciés.

 ?? ANDREW VAUGHAN LA PRESSE CANADIENNE ?? Pour l’instant, la commission s’attarde surtout à entendre les témoignage­s des membres des différente­s communauté­s autochtone­s au pays, mais certains aimeraient que le volet enquête soit développé davantage, qu’on interroge les autorités sur des cas de...
ANDREW VAUGHAN LA PRESSE CANADIENNE Pour l’instant, la commission s’attarde surtout à entendre les témoignage­s des membres des différente­s communauté­s autochtone­s au pays, mais certains aimeraient que le volet enquête soit développé davantage, qu’on interroge les autorités sur des cas de...

Newspapers in French

Newspapers from Canada