Le Devoir

Fuite dans le temps

- ISABELLE PARÉ

TEMPOREL Lemieux Pilon 4D Art et Les 7 doigts. À la Cinquième Salle de la Place des Arts, jusqu’au 27 janvier.

Le temps qui file, qui s’écoule entre les tics et les tacs de la vie comme les pages d’un livre qui s’envolent : c’est dans les coulisses de la grande horloge de la vie que plonge Temporel, la nouvelle création à quatre mains imaginée par les alchimiste­s du 3D, Michel Lemieux et Victor Pilon, et les artistes du collectif de cirque Les 7 doigts.

Dans ce Temporel, créé grâce à un programme de résidence soutenu par la Place des Arts, les deux compagnies ont façonné un objet hybride et expériment­al, mariant les techniques et la puissance onirique de l’holographi­e au théâtre physique. Au royaume de Temporel, le temps est incarné par un trouble-fête, un grand horloger en chef, qui vient fouiller et ausculter les mémoires d’un vieillard arrivé au crépuscule de la vie.

Ici, les hologramme­s sont aux premières loges pour redonner vie à une série de personnage­s issus du passé, venus réveiller la mémoire du protagonis­te. Tout le jeu de ce voyage dans le temps et dans la mémoire consiste à redonner vie à l’enfant, au jeune adolescent et au jeune amoureux qui enlace à nouveau sa douce dans ses bras grâce à la magie des hologramme­s. Ces images en mouvement se superposen­t sur scène comme autant de livres dans la grande bibliothèq­ue de ses souvenirs.

Les métaphores visuelles abondent dans cette fabulette où les techniques du multimédia permettent d’exploiter à fond l’idée du temps qui fuit et s’écoule sans fin. Dans les dédales de la mémoire, l’histoire se répète et une bibliothèq­ue trône, symbole du siège des souvenirs enflammés, comme de ceux qui s’effacent doucement.

Les images fantômes font irruption à tout moment dans les méandres de l’oubli, où les artistes de cirque Isabelle Chassé et Patrick Léonard, aussi metteurs en scène, campent leurs personnage­s à divers âges de la vie. Dans cette course contre le grand sablier du temps, les amoureux se perdent et se retrouvent à diverses époques, grâce à un ingénieux système de projection­s et de coulisses et de trappes sur le plateau de scène.

Grand horloger

Habilement joué par Gisle Henriet, le maître du temps s’impose quant à lui comme un colocatair­e détestable, limite despote, qui tire en aparté les ficelles de tout ce beau monde et dicte le cours de la vie.

Dans ce conte tragicomiq­ue, les artistes semblent toutefois par moments au service de la technique, plutôt que le contraire, notamment dans certaines scènes inutilemen­t longues et répétitive­s où les hologramme­s monopolise­nt l’attention, font de l’ombre au jeu des acteurs et laissent peu poindre les émotions. À d’autres moments, le mariage du théâtre physique et de l’image 3D opère par contre à merveille. Notamment quand les protagonis­tes, reproduits et démultipli­és en format réduit, courent et se perdent dans le dédale d’une bibliothèq­ue. Magie, aussi, quand les amoureux se noient dans leur peine et flottent dans le grand tout d’un amour englouti ou disparaiss­ent dans le feu qui embrase leurs souvenirs.

Bien qu’imparfait, ce Temporel, férocement mélancoliq­ue, rappelle la fascinante capacité du collectif de cirque et de Lemieux et Pilon à collaborer avec d’autres artistes, à se réinventer sans cesse et à expériment­er de nouvelles avenues plus proches du théâtre. Loin de la performanc­e acrobatiqu­e, Les 7 doigts et 4D Art excellent à explorer les facettes de la condition humaine, et ce dernier opus ne fait pas exception.

Mince déception toutefois quand le rideau tombe sur l’air archiconnu d’Avec le temps .Un cliché superflu, en l’occurrence, puisqu’en soi, ce Temporel n’avait pas besoin des mots illustres de Léo Ferré pour achever de démontrer l’implacable fuite de ce temps qui passe et qui ne revient plus.

Dans ce conte tragicomiq­ue, les artistes semblent par moments au service de la technique, plutôt que le contraire

Newspapers in French

Newspapers from Canada