Le Devoir

Michel David et la grande illusion politique au Québec

- MICHEL DAVID

Àla mi-décembre, les dirigeants des centrales syndicales avaient lancé un cri d’alarme devant la perspectiv­e de voir la CAQ former le prochain gouverneme­nt. Après les années d’austérité libérale, la présidente de la CSQ, Louise Chabot, mettait la population en garde contre « les intentions à peine voilées de démantèlem­ent caquiste de l’État ».

En fin de semaine dernière, Mme Chabot promettait plutôt de talonner le gouverneme­nt Couillard d’ici les prochaines élections. « On n’en veut plus, d’un gouverneme­nt qui va nous imposer des sacrifices insensés pendant les trois quarts de son mandat, alors que dans la dernière année il sort de son chapeau magique des lapins à coups de millions de dollars », a-t-elle déclaré. Bref, le Québec tomberait de Charybde en Scylla.

Manifestem­ent, les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’onde que la population. Selon le dernier sondage Léger-Le Devoir, la CAQ et le PLQ totalisent 68 % des intentions de vote, alors que les partis dits «progressis­tes», le PQ et Québec solidaire, n’en recueillen­t que 30 %.

De deux choses l’une: ou bien le penchant naturel pour la social-démocratie que certains prêtent aux Québécois est très exagéré, ou bien ces derniers ne croient pas que la capacité d’interventi­on de l’État soit sérieuseme­nt menacée. En réalité, il y a probableme­nt un peu des deux.

Le PLQ et la CAQ sont peut-être situés à la droite du spectre politique québécois, mais ils n’ont pas grand-chose en commun avec ce qu’on appelle la droite aux États-Unis ou en Europe. Même si les compressio­ns budgétaire­s des dernières années ont fait mal et auraient pu être échelonnée­s sur une plus longue période, le prétendu désengagem­ent de l’État demeure très relatif.

Si besoin était, le « Bilan de la fiscalité au Québec», rendu public jeudi par le Centre de recherche en fiscalité de l’Université de Sherbrooke, montre que le Québec demeure de loin l’endroit où la fiscalité est la plus lourde en Amérique du Nord. Sur ce plan, il se compare plutôt à des pays comme l’Allemagne, la Norvège ou les Pays-Bas.

Aux yeux des dirigeants syndicaux, les baisses d’impôt annoncées par le gouverneme­nt Couillard ou promises par la CAQ constituen­t du «gaspillage» et cet argent devrait plutôt être réinvesti dans les services publics. De plus en plus de contribuab­les croient toutefois que le vrai gaspillage consiste à engloutir année après année plus de milliards dans un système de santé qui ne donne aucun signe d’améliorati­on.

Depuis un demi-siècle, la question nationale a conditionn­é la dynamique politique québécoise, même dans les périodes où la possibilit­é d’un référendum sur la souveraine­té était plus théorique que réelle.

Jusqu’à la création de Québec solidaire, le PQ était le refuge presque exclusif des électeurs qui se définissai­ent comme progressis­tes, et les gouverneme­nts qu’il a fait élire ont globalemen­t contribué à faire du Québec une société plus juste, même si des épisodes comme les décrets de 1982 ou les compressio­ns budgétaire­s imposées par le gouverneme­nt Bouchard en ont indisposé plusieurs.

Le programme qui a été adopté au congrès de septembre dernier est le plus social-démocrate depuis celui de 2005. Pourtant, les 19% d’intentions de vote dont le sondage Léger-Le Devoir de décembre créditait le PQ constituen­t un plancher historique.

Jean-François Lisée a fait le pari de ne pas tenir de référendum et de proposer plutôt une alternativ­e progressis­te au gouverneme­nt Couillard. Au vu des résultats, on peut se demander si le référendum était réellement le problème ou si c’est le modèle social proposé qui n’est pas au diapason de l’électorat.

Au début de la campagne référendai­re de 1995, le camp du Oui avait lancé un manifeste intitulé Le coeur à l’ouvrage, d’ailleurs rédigé par M. Lisée, qui présentait la souveraine­té du Québec comme un «projet de société» unique en Amérique du Nord, avec une fiscalité plus progressiv­e, un filet social plus généreux, de meilleures protection­s pour les travailleu­rs, etc.

Mario Dumont et ses compagnons qui avaient claqué la porte du PLQ en 1992 ne pouvaient pas souscrire à cette vision aux antipodes de celle de l’ADQ, mais ils n’ont pas quitté la coalition souveraini­ste pour autant.

À l’instar de M. Dumont, de nombreux électeurs ont décidé de reporter ce débat à plus tard. Bien plus que l’idéal social-démocrate, c’est le ciment de la souveraine­té qui a permis au Oui de recueillir près de la moitié des voix au référendum.

Pendant des décennies, la gauche québécoise a déploré que la fixation sur la question nationale occulte les enjeux sociaux et l’empêche de prendre son envol. Maintenant qu’elle n’est plus à l’ordre du jour, c’est à se demander si ce n’était pas une illusion.

Le PLQ et la CAQ sont peut-être situés à la droite du spectre politique québécois, mais ils n’ont pas grandchose en commun avec ce qu’on appelle la droite aux États-Unis ou en Europe

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